Notre protagoniste rencontre sur le toit de son école une fille étrange, Aoi, qui est persuadée de pouvoir rentrer en contact avec Dieu via son téléphone portable. Elle semble vouloir entamer une relation avec lui. Mais son amie d’enfance, Mitsuki, qui n’a jamais avoué son amour, veille à ce que celle-ci lui ne lui vole pas sa place…
AVERTISSEMENT : Je vais devoir spoiler de gros élements de l’intrigue pour expliquer le méta, alors si vous êtes curieux, n’hésitez pas à aller essayer le jeu, ça vaut franchement le coup pour tout amateur d’expérience unique. Par contre, le patch « non censuré » (pour la version Steam) est de rigueur pour bien s’imprégner de l’ambiance souhaitée, et c’est vraiment, VRAIMENT sexuel.

Le principe du visual novel (roman visuel), c’est qu’il n’y à pas vraiment de gameplay. On suit une route prédéfinie par des choix textuels, et ces choix vont mener à différentes conclusions, suivant quelle relation amoureuse (quand il s’agit d’un jeu à prétention romantique, comme ici) le joueur visera. Une des spécificités du genre, c’est qu’il est possible de rejouer à volonté l’histoire, et de changer ses choix, pour découvrir tout ce que le jeu a à offrir : c’est à dire de souvent essayer les relations amoureuses alternatives, et découvrir les différentes scènes intimes, voire sexuelles, qu’il est possible ensuite de débloquer et revisionner à volonté dans un menu dédié.
Il existe également des visual novel ouvertement pornographiques où le but est évidemment d’avoir le plus de relations sexuelles possibles, dans des situations plus où moins perverses selon la volonté du créateur, et ça peut aller très très loin dans l’immonde (scatophilie, pour le plus soft des mots que je peux employer ici sans réveiller de mauvais souvenirs).
D’abord confronté à une histoire banale de triangle amoureux, où le chemin initial est d’entamer une relation amoureuse avec Miyuki et de lui prendre sa virginité pour finir heureux pour toujours, le joueur qui pense pouvoir revenir à ses choix précédents au gré de ses envies décide forcément en seconde route de choisir Aoi, la fille bizarre agissant comme un virus informatique qui parasite tout l’univers du jeu au gré de ses apparitions, posant des questions étranges et proposant des pratiques de plus en plus perverses. Elle semble totalement hors de contrôle, victime de ses pulsions les plus primaires, jusqu’à mener à des scènes sexuelles où le joueur est obligé d’assister à sa corruption inévitable.
Elle finira par se faire assassiner par Miyuki, lors d’une scène où toute interaction devient impossible. Elle ne supporte pas que tu choisisse quelqu’un d’autre après lui avoir promis de te consacrer à elle. Tu? Oui TOI. Le joueur. TU a choisi les dialogues qui l’ont rendue amoureuse, TU es responsable maintenant. Pour te punir, TU devras recommencer une partie où TU ne pourras plus accéder au menu de ton jeu, TU ne pourras plus voir les scènes précédentes, TU ne pourras même plus charger ta partie. Tout est consacré à Miyuki. Et TU devras lui prouver ton amour. Mais avant ça, elle explose le crâne du personnage à coup de batte, pour montrer qui contrôle vraiment la situation.

A ce moment là, Miyuki contrôle totalement le logiciel. Elle réagis à la date du jour, commente l’écart entre les connexions, démarre des scènes de dialogue qu’il est impossible de passer. Elle diffuse inlassablement les mêmes séquences, les mêmes choix, les mêmes conversations, jusqu’à que le joueur ne vive que pour elle. Comme récompense quand on prouve notre amour, elle stimule la personne derrière l’écran qui se masturbe en l’écoutant. Quand un échappatoire se présente, c’est pour mieux appuyer sa domination. Il n’y a pas de solution. A moins qu’il existe un élément, dans le monde réel, qui permette de la vaincre…
You and Me and Her est pensé comme une synthèse du genre, piégeant la personne installée devant l’écran dont les attentes seront détournées et balancées contre un mur à maintes reprises. Miyuki représente le personnage jetable de départ, généralement le moins intéressant, qui est un vecteur pour découvrir l’intrigue générale et sera oublié au profit des histoires alternatives. Elle est bafouée par l’indifférence du joueur qui est réellement intéressé par Aoi et son mystère, et décide ainsi de se venger. Aoi quant à elle est un amalgame de tous les personnages d’œuvre les plus perverses, la victime idéale, qui se fait bafouer par l’ordre établi, « Dieu », et est persuadée de devoir tout subir car c’est pour la raison de sa conception. Le fait d’enlever le contrôle direct au joueur et de lui faire subir les événements ainsi que des pratiques sexuelles dégradantes redonne le pouvoir a ces archétypes de personnages qui ont été maltraités depuis la création du genre.

Mais il y a tout de même une lueur d’espoir dans les sentiments qui, bien qu’étant extrêmes, sont sincères de toute part. Tout est motivé par l’envie de reconnaissance, d’être apprécié pour qui on est. De la part du joueur, qui recherche ici un peu d’amour éphémère venant d’avatars fictifs qui ne peuvent pas le rejeter, ainsi que des personnages qui ne veulent qu’être aimés sincèrement, pour eux même, pour la première fois au delà des idées reçues. En épousant la violence, la perversité de chacun, on atteint un sentiment rare d’acceptation véritable (ou du moins autant qu’on puisse pour un personnage fictif). L’abandon est aussi au centre de l’intrigue, la passion éphémère qui restera un sentiment fort et perdu pour toujours. Les personnages, ainsi que le joueur, devront faire leur deuil.
Aoi repart dans d’autres univers, transcendant les barrières du virtuel, mais avec le sentiment d’avoir peut-être pour la première fois été proche de quelqu’un. Miyuki se rassure dans l’idée qu’elle sera toujours là, dans notre sauvegarde, et qu’on pourra lui rendre visite de temps en temps. Chacun sait que le souvenir de ces moments vécus restera dans le cœur du joueur, même si il n’y a plus d’autres preuves de ceux-ci, et c’est le plus important.
Ainsi le joueur, TOI, ou quel que soit son nom, est un personnage à part entière de l’intrigue de You and Me and Her, qui a pour la première vois dû prendre des décisions qui l’impactent directement.
Aoi et Miyuki apparaissent également dans le jeu de combat « Nitroplus Blasterz: Heroines Infinite Duel », en tant qu’assists (des invocations non contrôlables). Aoi électrocute l’adversaire avec son téléphone, et Miyuki lui donne un coup de batte. Les deux n’oublient pas de briser le 4e mur, pour rappeler au joueur que même via un genre et un support totalement différent, elles ne nous oublient pas. Ce jeu inclus aussi Saya du visual novel « Saya no Uta« , donc on reparlera sans doute un jour ici.