P.T (Playstation 4, 2014) ou l’horreur psychologique des jeux d’argent

Silent Hill est une des saga les plus populaires et importante de l’histoire du jeu vidéo, de part son approche de l’horreur psychologique et son ambiance unique. Je ne vais pas trop m’étendre sur le sujet car d’autres articles en parleront dans un futur proche, mais il est important de noter que durant le début des années 2000, Silent Hill 1, 2 et 3 furent des pierres angulaires du paysage vidéoludique (certains disent que le 2 est le meilleur, je ne m’avancerait pas sur le sujet). La licence peut même se vanter d’avoir selon beaucoup la première vraie bonne adaptation de jeu vidéo avec le film éponyme de Christophe Gans sorti en 2006 (même si Mortal Kombat de 1995 reste mon pêché mignon).

Malheureusement, dû a une gestion de plus en plus désintéressée de la licence par l’éditeur Konami, Silent Hill sombra peu à peu dans les tréfonds du bac à soldes, avec des épisodes de plus en plus anecdotiques et un déclin de popularité grandissant. Je ne saurais pas vraiment donner de raisons, étant donné que tous les jeux sont bons a très bons voire très intéressants (Silent Hill : Shattered Memories qui ne propose pas de système de combat, se recentrant sur l’horreur pure), même si les deux épisodes les plus récents sont oubliables (mais toujours a minima honnêtes), les critiques reprochant l’approche de plus en plus action et bourrin, un tort que partage le grand rival a la même époque, la saga Resident Evil. A mon avis la série a juste perdu son public et n’as pas su se réinventer, comme beaucoup de licences cultes japonaises dans la seconde partie des années 2000.

Si la saga vous intéresse, je vous conseillerait de trouver le second jeu en version PC (il existe un patch HD non officiel) ou Shattered Memories version Wii, mais surtout d’éviter le HD Collection sur PS3 et Xbox 360 qui est une purge codée à la va vite avec une version beta du second jeu retrouvée dans un tiroir, moins optimisé que sur la console d’origine et des doublages refaits intégralement. Mais, je m’égare.

Arrive ainsi 2014. Un étrange jeu sort sans aucune annonce sur le Playstation Store. Arborant un énigmatique titre, « P.T », et développée par un studio inconnu nommé 7780s, l’expérience propose de jouer un personnage dont on ne peut pas voir le visage (tous les reflets sont conçus pour le cacher) qui enquête dans une maison où des événements surnaturels se produisent.

Au premier abord il est très difficile de savoir ce qu’il est possible d’accomplir, l’objectif étant volontairement cryptique. Peu à peu, avec l’aide des communautés online, il a été découvert qu’en cherchant les preuves de la disparition d’un enfant la maison réagira de plus en plus hostilement, d’abord en affichant des éléments visuels censés repousser (jumpscares, murs en sang, etc) puis par finir par faire tuer le héros par un fantôme imprévisible qui ne peut que surgir dans son dos (je ne vais pas expliquer le cheminement complet, mais je met une vidéo plus bas pour les curieux). A ce jour la façon de réellement terminer cette démo peut prêter à débat, mais le consensus veut que crier le nom de l’enfant disparu dans le micro de la manette permet d’éloigner le fantôme et d’ouvrir la porte de la maison pour s’enfuir (l’objectif de la démo est donc de trouver le nom parmi les indices disséminés ci et là).

En ouvrant la porte, on découvre le visage de notre protagoniste : Norman Reedus, à l’époque au sommet de sa gloire grâce à Walking Dead, jouera donc le rôle principal. Le nom du jeu s’affiche peu après : Silent Hills, P.T signifiant « Playable Trailer ». La saga, au point mort depuis 5 ans, est de retour en grandes pompes. Le reste de l’équipe est révélé : Hideo Kojima au développement (connu pour Metal Gear Solid, un nom qu’on reverra BEAUCOUP ici), Guillermo del Toro au scénario (réalisateur connu pour ses films fantastiques et d’horreur poétique), Junji Ito au design (maitre des mangas d’horreur). L’équipe est royale et ne fait qu’amplifier la hype suscitée par la démo. Le projet est extrêmement attendu et suivi. Pour l’anecdote, le nom du faux studio, 7780 désigne la préfecture de Shizuoka, qui signifie « la collines silencieuse », autrement dit… Silent Hill.

Puis… Plus de nouvelles. Des rumeurs indiquent que Kojima est en très mauvais termes avec Konami, l’éditeur historique de Silent Hill et son patron de toujours. Metal Gear Solid 5 est en développement depuis des années et le projet est trop gros, trop gourmand, trop ambitieux. Des rapports dévoileront plus tard qu’il a été dépossédé du projet pour pouvoir le boucler le plus vite possible (un chapitre final a été complétement retiré), tandis qu’il se fit enfermer dans son bureau sans aucune possibilité décisionnaire pour le reste du développement. Dans ces conditions, Kojima décide de partir de Konami une fois le jeu publié et d’emporter l’équipe de P.T avec lui. Silent Hills est annulé dans la foulée, sans aucune annonce officielle, et P.T est retiré du Playstation Store, poussant le vice jusqu’à interdire de le re-télécharger pour les personnes l’ayant déjà activé (ce qui est extrêmement rare pour être souligné) : des Playstation 4 avec P.T sur le disque dur seront vendue à prix d’or sur les sites d’enchères. Pour ma part, je l’ai toujours sur ma console, n’hésitez pas a faire une offre (prix de départ 700€, sans les frais de port évidemment !).

Konami a bien fait comprendre par ses actes que l’existence de P.T. est complétement reniée, leur but est d’agir comme si le projet n’avait simplement jamais existé. Les raisons de cette annulation sont inconnues mais peuvent être multiples. Durant cette période, Konami a déclaré à maintes reprises que le marché du jeu vidéo n’était plus assez lucratif pour eux et que leur objectif sur le long terme est de se recentrer sur le marché du pachinko, une sorte de machine à sous japonaise, ainsi que sur les jeux de téléphone portable. Ils ont donc coupé petit à petit les projets les plus couteux pour eux : plus aucun Castlevania (on y reviendra via Bloodstained), plus aucun Contra, Metal Gear Solid 5 sera le dernier, et Silent Hills est annulé, sans parler de toutes leurs licences plus mineures aux abonnés absent. Seul PES et la licence Yu-Gi-Oh (principalement pour les cartes et les jeux mobiles) resteront. Leurs propriétés intellectuelles serviront d’inspiration thématique pour les différences machines à sous (les pachinko ayant un petit écran avec une mise en scène selon nos gains). Le respect sera d’ailleurs finalement mort, enterré et sa tombe profanée quand Konami peu après l’annulation de Silent Hills annoncera un nouveau Silent Hill et un remake de Metal Gear Solid 3… Sous la forme de pachinko. Depuis 2015, ils ne sortent principalement que des jeux de foot et des portages d’anciens titres a moindre coût (pour ne pas leur enlever du mérite là où il y en a, leurs compilations sont excellentes, comme la TMNT Cowabunga Collection).

Le futur du jeu vidéo selon Konami.

Cependant, on ne peut pas enlever complétement la faute a Hideo Kojima qui a profité de son statut de développeur star pour repousser et repousser encore la sortie de Metal Gear Solid 5 en rajoutant inlassablement des éléments a la pertinence généralement très relative : on parle ici d’avoir développé un nouveau moteur graphique pour l’occasion et d’une estimation de 5 ans de développement, ce qui est énorme. Parfois, il faut aussi être pragmatique et renoncer a une partie de sa vision artistique pour des aspects plus terre à terre comme les coûts de développement. La façon dont il a été traité est irrespectueuse, mais pas forcément injuste. On ne saura sûrement jamais vraiment a quel point chaque parti a été coupable de ses torts respectifs, La suite de l’histoire donnant de toute façon raison a Kojima.

En 2016, Kojima est acclamé lors de son retour tant attendu aux Games Awards après une coupure médiatique forcée d’un an due à son contrat avec son employeur précédent. Il annonce la création de son studio, Kojima Productions, et son nouveau projet : Death Stranding. Le casting du jeu? Norman Reedus, Guillermo Del Toro (et son légendaire « Fuck Konami ») ainsi que les nouveaux venus Léa Seydoux, Mads Mikkelsen et Nicolas Winding Refn. Kojima est plus puissant que jamais, et à le champ libre pour développer sa vision sans aucun filtre. Sorti en 2019 sur PS4, le jeu est acclamé par la critique et le public, proposant une expérience radicale et unique pouvant laisser certains joueurs perplexes de par ses prises de positions narrative.

P.T. aura un dernier soubresaut en se réincarnant via le rival de toujours : après un épisode 6 massacré par la critique, la démo de Resident Evil 7 met en scène un groupe de jeunes adultes s’enfermant dans une maison pour tourner un épisode d’une série paranormale, avant de se faire assassiner par une présence cauchemardesque rôdant dans les murs. Prenant le parti pris de mettre pour la première fois en scène un individu sans aucun entrainement au combat (là ou les personnages principaux sont toujours ou presque des commandos d’élite), le jeu propose une aventure à la première personne plutôt basée sur l’horreur psychologique et la survie. L’influence de P.T est plus qu’évidente, notamment via l’implémentation d’un mode VR encore terrifiant des années plus tard, et le jeu est un succès critique et commercial. Capcom (éditeur de Resident Evil) a vu l’or là ou son rival n’a vu que du purin.

A l’heure où j’écris ces lignes, Konami est revenu sur sa décision à propos de la saga Silent Hill. Un remake du second épisode a été annoncé, et Silent Hills serait de nouveau en développement. Peut-être par acquis de conscience? Peut-être parce qu’ils considèrent que c’est le bon moment après une étude de marché? Ou peut-être dû à la législation sur les jeux d’argent qui s’est endurcie au Japon? Qui sait ! Le futur de la licence est entre leur main, on ne peut qu’espérer enfin voir ce qu’il nous a été promis il y a presque dix ans.

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