Vous avez été réveillé au milieu de la nuit par un militaire qui vous sors du lit et vous amène au bout du canon dans une voiture, sans avoir le temps d’attraper vos affaires ou prévenir votre famille. Sans se soucier des limitations de vitesses, on vous amène dans un lieu tenu secret que vous n’auriez voulu jamais visiter dans ces conditions. Vous pensiez, en acceptant le job, que c’était une responsabilité un peu dans le vent, sans grandes implications, juste un moyen de gagner plus d’argent a chaque fin de mois sans faire grand chose de plus. Au fur et à mesure que la base se rapproche à l’horizon, l’angoisse vous envahit, et vous comprenez que quelque chose d’horrible vient d’arriver ou, pire, allait se passer.

On vous pousse dans l’entrée, vous forçant à presser le pas dans le long couloir avant votre destination. Une secousse se fait sentir, un bruit sourd au loin, et vous devez courir maintenant. A peine le temps de passer la porte qu’on vous place de force devant un ordinateur, des noms de capitales notées devant des boutons, et un grand écran noir schématisant le ciel et une topographie de ville. Encore un peu sonné, vous regardez le premier trait tomber lentement sur San Francisco, dont les contours caricaturaux s’effacent progressivement. Ce retour a la réalité vous atteint comme un électrochoc. Votre main attrape instinctivement le joystick présent sur le tableau de bord, une cible s’affiche, et vous appuyer sur le premier bouton. Boum ! Un des traits disparait. C’est deux traits maintenant. Puis trois. Puis cinq. D’une dextérité de plus en plus instinctive, vous arriver à tous les éliminer, mais toujours in extrémis.



L’un d’eux vous échappe. Los Angeles disparait. Paniqué, vous commencez à faire des erreurs, ratant quelques cibles cruciales. C’est dix missiles qui apparaissent maintenant. Un, deux, trois, quatre… Il n’en reste plus qu’un. D’un mauvais mouvement, la cible s’écarte au dernier moment de celui ci, vous le ratez. A peine le temps de relire le nom de la ville vers laquelle il se dirige pour comprendre. Le plafond s’effondre, vous êtes tué sur le coup.

C’est ce genre de sentiment que Missile Command a voulu faire ressentir au public du début des années 80. Basé sur un cauchemar de guerre froide qui a hanté son créateur, Dave Theurer, ce titre d’arcade met en scène une situation de terreur nucléaire impossible à résoudre, seulement retarder, du fait de sa pluie de missile infinie qui ne prendra fin qu’avec une destruction totale et mutuelle. Le joueur prend donc le rôle d’un militaire chargé de détruire les menaces au dessus des villes qu’il devra protéger au mieux, jusqu’à l’inévitable moment où il sera submergé et ne pourra qu’observer la fin de la civilisation.

Évidemment, ce postulat était plutôt polémique a l’époque, ce qui a poussé Atari, le distributeur, a censurer le propos. Exit le contexte réaliste avec des noms de villes existantes, l’histoire prends maintenant place dans un futur ou des aliens attaquent des bases sur d’autres planètes. On efface la volonté de l’auteur pour éviter l’anxiété d’une époque où le nucléaire était toujours prépondérant dans les peurs communes. Les six villes originalement prévues (Eureka, San Francisco, San Luis Obispo, Santa Barbara, Los Angeles, et San Diego, soit toute la cote ouest) deviennent des villes aux noms inventés et tous les contenus promotionnels mettent en scène des personnages rappelant entre autres Star Wars, sorti trois ans avant.

Même avec son propos tronqué, Missile Command reste extrêmement angoissant. Son absence totale de musique surligne les bruits de missile qui tombent lentement sur les villes, ses couleurs criardes agressent les yeux comme le flash lumineux de la bombe atomique, et son écran de fin qui n’indique pas Game Over mais « The End » (pour signifier que « a la fin, il n’y a pas de gagnant ») font toujours leur effet, même 40 ans après sa sortie, surtout en cette période d’apocalypse programmée (pour les gens du futur, je parle du réchauffement climatique, de la guerre en Ukraine, tout ça…). On pourrait dire que, s’il n’était pas surtout connu comme un loop de gameplay très efficace ainsi que pour sa trackball, Missile Command pourrait être reconnu pour le parti pris radical de son propos, dont le but est avant tout d’illustrer un jusqu’au-boutisme stylistique plutôt a contre courant du côté « feel good » des autres productions de l’époque, surtout pour un leader du marché comme Atari. On peut aussi penser que la peur de mort imminente quasi subliminale a poussé pas mal de gens à rajouter des pièces pour ne pas finir déprimés a la fin de la journée, ce qui pourrait être la cause du grand succès de la borne (500 millions de dollars de profits).
Preuve de l’impact du jeu sur l’imaginaire collectif, James Cameron s’en est souvenu dix ans plus tard pour faire un petit clin d’œil dans Terminator 2. John Connor y joue dans une salle d’arcade, prédisant sa mission d’empêcher un futur apocalyptique jugé inévitable.