Twisted Metal prends place dans un univers post-apocalyptique où des affrontements meurtriers sont fréquemment organisés par un individu la présence surnaturelle, Calypso. Les participants s’affrontent dans des arènes représentant des quartiers (et plus tard des villes emblématiques) a bord de véhicules blindés armés jusqu’au pare-choc, allant du pick-up, au tank, au tractopelle, voire même une moto, un hélicoptère ou un homme incrusté par les bras dans deux énormes roues. Calypso permet au gagnant d’exaucer l’un de ses vœux, mais attention : selon la formulation de celui ci, ou même par facétie, il peut être détourné et devenir une malédiction (dans le même principe que la fameuse histoire de la patte de singe).

Le premier épisode de Twisted Metal, bien qu’excellent pour 1995, n’était qu’une ébauche pour sa suite qui a défini la vraie identité de la série, apportant un esprit très « comic book » et un humour caustique désamorçant complétement l’extrême violence du titre. Seulement quelques personnages reviennent, dont le clown tueur en série Needles Kane, conduisant son fameux camion de glaces Sweet Tooth, devenu depuis la mascotte de la licence (je précise que Sweet Tooth est le nom du véhicule et non du pilote pour éviter les foudres des puristes).

Même Calypso devient un personnage a part entière, là ou dans le premier jeu il n’était que vaguement décrit dans des pavés de textes (mais existait déjà dans des scènes FMV du plus bel effet qui ont été finalement retirées du produit final). Dans Twisted Metal 2 il narre l’expérience complète d’un ton moqueur, comme un maitre de cérémonie burlesque, déclamant « And i thank you for playing Twisted Metal !« , d’un grand sourire, après chaque cinématique de fin. Il semble être conscient qu’un spectateur observe les événements, et prends tout ceci comme une énorme farce.
Le but de cet article sera de décoder la trame principale de Twisted Metal. Étant un jeu de voiture, le sel de la série est avant tout la variété et le nombre de véhicules jouables, chacun ayant son pilote avec ses motivations propres. De ce fait, beaucoup d’éléments se contredisent volontairement (les conclusions du mode histoire de chacun montrent parfois des réalités complétement différentes). L’histoire de Marcus et Needles Kane, bien que centrale a l’intrigue, peut être totalement occultée si on ne prends pas la peine de la suivre en sélectionnant dans chaque épisode les personnages correspondants. Il faut donc garder en tête que ce que je décris ici ne représente qu’une petite partie de la richesse de la saga (il y a une soixantaine de personnages jouables répartis sur 8 jeux), et j’invite chacun a se pencher plus en détail sur celle ci.

Dans ce second épisode donc, un étrange individu portant le même nom de famille que notre clown enflammé favori, Marcus Kane, est jouable. C’est un SDF ayant perdu la mémoire et devenu fou, souffrant d’insomnie. Dans sa bio, il parle directement au joueur « Je connais la vérité, taré ! Tu t’assoit dans ton salon avec ta petite console de jeu vidéo et joue, joue, joue ! Mais je sais ce qu’il se passe, je peux te voir ! Ils pensent que je suis fou mais tu verras que je suis le seul qui est sain d’esprit !« . Dans le livret, il est indiqué que Marcus est né en Alabama, comme le co-créateur de la série, David Jaffe (dont on reparlera plus bas).


Dans sa cinématique de fin, il implore Calypso de le croire et l’aider a s’enfuir de ce qu’il nomme « son cauchemar ». Calypso l’informe avec amusement qu’il est le premier a « avoir compris », et le laisse sortir de l’illusion. Dans ce qui est peut-être une des premières fin « et tout ça était un rêve/il était dans le coma », il se réveille effectivement dans un hôpital, entouré de sa famille et de tous les autres participants au tournoi qui étaient en réalité des grands blessés entre la vie et la mort. Mais le doute plane encore…
Sweet Tooth quant à lui est bien présent en tant que sous boss, et est jouable uniquement via un code (Haut, L1, Triangle, Droite a l’écran de sélection du véhicule, de rien). Sa biographie, comme celle de Marcus Kane, semble cibler le joueur directement : « Ma première maison fut le cirque. Ma seconde maison fut un orphelinat. Ma prochaine maison sera la tienne. Je serait l’homme qui se cache sous ton lit, dans ton placard, dans ton esprit. Quand je gagnerait, tu ne sera jamais assez loin de moi. » On peut aussi déduire qu’il parle a Marcus Kane en le menaçant de voler son esprit (pour des raisons expliquées plus bas). Mis à part sa présentation, il n’y a pas de choses notables sur lui dans cet épisode.

Twisted Metal 3 et 4 n’ont pas été développés par le studio d’origine, et sont considérés depuis comme non canons. Tout le côté meta de Marcus Kane a été effacé, je n’en parlerais donc pas ici. Cependant, vu que je n’aurai jamais aucune autre occasion de le préciser, Rob Zombie est jouable dans Twisted Metal 4 et sa cinématique de fin est un concert de son groupe. Voilà, voilà.

Twisted Metal Black, sorti en 2001 sur PS2, est peut-être l’épisode le plus étrange de la série. Changeant complétement d’ambiance pour coller a l’esthétique sombre et pessimiste du tournant des années 2000, l’histoire prends place cette fois ci dans un asile où tous les participants ont été libérés pour participer a la course mortelle. Le jeu est extrêmement violent, avec des cinématiques très explicites, au point qu’il a du être censuré de bien des façons (un bébé noyé par un prêtre a été coupé un montage, ou l’histoire d’un soldat noir voulant se venger d’un terroriste suprémaciste blanc a été modifiée) : ces cinématiques ont été complétement retirées de la version européenne qui se retrouve sans aucun scénario. Needles Kane, personnage central du marketing (il est sur la boite et dans toutes les pubs) y adopte son apparence définitive, chauve, torse nu avec un pantalon a pois, et un masque de clown décorant son crâne enflammé.

Présence énigmatique, le boss de mi-parcours, Minion, connu comme l’emblématique véhicule le plus destructeur de la série, n’a pas de scénario ni de biographie. Quand on le sélectionne dans le mode histoire, ses écrans de chargement entre les niveaux sont des lignes de chiffres incompréhensibles qui, une fois décodées, dévoilent la vérité sur ce tournoi : tout se passe dans l’esprit de Needles Kane. Minion est en fait le seul autre personnage « réel » dans ce monde (la seule autre personnalité consciente d’exister dans un rêve), et essaie de s’enfuir en écrasant les illusions du clown maléfique. On peut même aller jusqu’à dire que tous les autres personnages représentent une partie de sa personnalité, qui doivent être vaincus pour enfin s’extirper de ce cauchemar. On comprends que l’aspect plus sombre, plus violent de cet épisode est justifié par le fait qu’on est maintenant dans la vision pervertie et altérée du monde d’un tueur maniaque. Le dernier message codé révèle l’identité du pilote : Marcus Kane.

Les messages :
- 941514152020891411208919919185112 (I do not think this is real.) : Je ne pense pas que ce soit réel.
- 91321192019165111914315451518852391212490931522518135 (I must speak in code or he will discover me.) : Je dois parler en code où il me découvrira.
- 23511852018116165491489198514 (We are trapped in his head.) : Nous sommes enfermés dans sa tête.
- 20891991981523851955192085231518124515231923552020151520819551989191296592091914120185112 (This is how he sees the world, how Sweet Tooth sees his life, it is not real.) C’est ainsi qu’il voit le monde, ainsi que Sweet Tooth voit sa vie, ce n’est pas réel.
- 11212156211911852018116165491489198514 (All of us are trapped in his head.) : Nous sommes tous piégés dans son esprit.
- 913919192085151231512151862112231519124 (I miss the old colorful world.) : L’ancien monde, plus vivant, me manque.
- 235239121218520211814201515211815124231518124151454125 (We will return to our old world one day.) : Nous retournerons dans notre monde un jour.
- 9142085185112231518124132514113591911311832119111145 (In the real world my name is Marcus Kane.) : Dans le monde réel, mon nom est Marcus Kane.
Revenons un peu en arrière. Présent depuis le premier Twisted Metal, Charlie Kane, un chauffeur de taxi, a pour quête de découvrir ce qu’il est arrivé a son fils disparu des années auparavant, qu’on apprends être Needles Kane dans la conclusion de son scénario. Dans Twisted Metal 2, il est le boss final venu « venger » son fils, qu’on a dû tuer durant le mode histoire (ce qui apporte une petite incohérence si on joue avec le clown, mais bon, c’est un personnage bonus obtenable uniquement via un code, je rappelle), et il conduit une version augmentée de Sweeth Tooth nommée Dark Tooth. Dans Black, il revient, avec un twist : le pilote du taxi n’est pas Charlie Kane, mais son corps contrôlé via une télécommande par son fils. Mais qui est le fils, Marcus ou Needles? Plusieurs théories sont possibles, mais celle que je considère la plus juste est que le fils est un faux Marcus Kane, crée par l’esprit de Needles pour cacher dans son subconscient la présence de sa seconde personnalité en tant que Minion (renforcé par le fait qu’il est décrit comme le « bon » fils dans sa biographie). Dans sa cinématique de fin, Calypso tue pour de bon Charlie en détruisant la télécommande, ce qui peut être vu comme une représentation évidente de « tuer le père », et/ou un traumatisme refoulé de Needles.



Enfin, le dernier élément qui appuies le fait que tout se passe dans l’esprit de Needles est l’apparence de Calypso. Normalement un homme en costard aux longs cheveux noirs et au visage brûlé, il ressemble ici étrangement a un Needles Kane sans masque, dans une apparence qu’il n’aura plus jamais autre part.

Il y a pas mal de petits éléments qu’on pourrait rajouter pour appuyer ces propos : le pilote de la voiture normalement conduite par Marcus Kane est un nouveau personnage appelé John Doe qui recherche son identité perdue, Axel et Mr Grimm gardent le même visage que dans les épisodes précédents car c’est les deux seuls à être traditionnellement a visage découvert dans leur véhicule (donc connus de Needles), Needles Kane tue Calypso dans sa fin pour ne pas être mis face a ses contradictions, Needles est appelé Sweet Tooth par les autres personnages car c’est ainsi qu’il s’identifie, et bien d’autres. Mais on risque de partir un peu trop dans des coïncidences fortuites.
Dans Twisted Metal : Head-On (sorti en 2005 sur PSP puis 2008 dans une version augmentée sur PS2), Marcus Kane revient comme personnage jouable « classique », ainsi que son alter ego, Needles Kane, dans une suite directe au scénario de Twisted Metal 2. Il est confirmé ici que Marcus Kane et Needles Kane sont en réalité les deux facettes d’une même personne, se partageant le même corps dans des idéaux complétement différents. On peut déduire que Minion dans Twisted Metal : Black était en réalité une mise en scène de Marcus voulant reprendre contrôle de leur corps, en organisant et remportant un tournoi imaginaire.

Dans la continuité logique de la saga, le boss de fin, Tower Tooth, représente une fusion parfaite des deux personnalités, enfin a l’unisson, dans un véhicule informe et destructeur. On imagine que celui ci est fantasmagorique, montrant ce qui arriverait si Needles prenait définitivement le contrôle, mais cette fois ci épaulé par son frère dans sa quête de destruction. D’ailleurs, le fait que Needles et Marcus doivent s’affronter eux même (vu qu’ils sont initialement jouables via leur véhicule personnel) montre que les barrières de la réalité sont de plus en plus floues.

Qui a finalement remporté le combat mental? La cinématique de fin des deux personnages apporte une conclusion qui peut être vue comme satisfaisante : Needles devient le nouveau maitre du Twisted Metal, donc du monde fantasmé subconscient, et Marcus réussit a redevenir la personnalité dominante, contrôlant le corps et la majorité de ses actions. Mais une certitude demeure : Sweet Tooth est toujours là, visible subrepticement du coin de l’œil, prêt a ressurgir : il ne seront jamais vraiment guéris.
En prenant ces éléments en compte, beaucoup de mystères demeurent. Est ce que Calypso est aussi depuis le début une autre personnalité de Marcus, ou une personnification des créateurs qui mettent en scène leur propre spectacle burlesque, changeant le statut quo selon leurs envie du moment? Est ce que l’intégralité de la série ne serait pas juste les délires d’un homme malade, possiblement SDF, perdant peu a peu prise avec le réel? Il n’y a jamais eu de réponse définitive, donc je préfère penser que la fin où Marcus réussit a reprendre pieds en effaçant Needles, et que tous les tournois étaient effectivement des représentations de son combat intérieur est la réponse définitive a la saga. Twisted Metal 1 est sur un terrain neutre, Twisted Metal 2 commence à fracturer la réalité, Twisted Metal : Black est un monde contrôlé par Needles Kane, et Twisted Metal : Head-On est le combat final pour la libération de Marcus.
Depuis le reboot PS3 de 2012, tout cet aspect a été complétement effacé pour rendre l’histoire totalement premier degré (ce qui a déçu beaucoup de fans de la série), et qui, a mon avis, se prends beaucoup trop au sérieux pour ne pas être un peu ridicule, notamment à cause de cinématiques FMV très ringardes (même si c’est sans doute le meilleur épisode du point de vue plaisir de jeu, proposant un mode a 4 en local fort appréciable). A moins que tout cela, y compris le reboot, ne soit encore qu’une illusion de Needles Kane, mais cette fois ci dans la série TV de 2023, en témoigne la présence de la boite du premier jeu en easter egg? Je pars un peu loin dans mes supposition, mais cela ne dénaturait pas l’esprit de la série.

David Jaffe (comme dit plus haut, le co-créateur de Twisted Metal ainsi que des deux premiers God of War) a déclaré en 2020 dans une interview/rétrospective que les jeux ne sont pas liés au niveau de l’intrigue, reprenant un contexte global commun sans jamais se faire suite, et que tout le personnage de Minion dans Black n’était qu’un easter egg conçu a la va vite a la fin du développement. J’ai quand même du mal à y croire, du fait que tout se goupille trop bien dans un développement cohérent et que les éléments se répondent entre eux (comment justifier alors que Charlie Kane dans Black soit contrôlé par un troisième fils dont on ne reparle plus jamais?). De plus, certaines storyline de personnages dont je n’ai pas parlé forment une trame continue (comme les deux policiers Jamie et Carl Roberts dont les histoires se suivent directement entre Twisted Metal 1, 2 et Head-On, ou bien Mr Grimm qui est la mort personnifiée dans Twisted Metal 1, 2 et Head-On mais PAS dans Black, épisode qui est, vraisemblablement, une illusion où tous les personnages sont altérés par l’esprit malade de Needles). Peut-être que ces éléments viennent d’un autre scénariste non crédité, du co-créateur Scott Campbell ou d’une séance de brainstorming dont Jaffe ne se souvient plus?


Il faut savoir que dans ces dernières années David Jaffe est devenu plus connu pour sa carrière de streameur et youtubeur que pour ses productions vidéoludique (la derniere, Drawn to Death, a été un flop retentissant), avec son lot de prises de position et de polémiques (on se souvient de son coup de gueule lunaire sur Metroid Dread). Malheureusement, je préfère, dans ce cas précis, penser que l’œuvre a dépassée son créateur et ne pas prendre sa parole (d’autant plus la récente) pour argent comptant. Comme le faisait déclarer John Ford a ses personnages dans « L’Homme qui tua Liberty Vallance« , « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ».