Heroes, Space Oddity, Let’s Dance, Life on Mars?, Ziggy Stardust…. On ne présente plus David Bowie; ce qui est moins connu, c’est qu’il était un précurseur d’internet. Déjà amateur d’e-mails dès les années 80, il distribue en 1996 la première musique « mainstream » en téléchargement de l’histoire. Convaincu de la fin des réseaux de distribution classiques, il participe en 1998 à la création d’un fournisseur internet a son nom, BowieNet, permettant d’obtenir une adresse mail (en @davidbowie.com ! ), un espace d’hébergement pour son site perso et des œuvres inédites en exclusivité. Le projet se voulait aussi être un réseau social avant l’heure où les fans de l’artiste pouvaient partager leurs créations de toutes sortes (notamment des clips audio) et converser entre eux. Bowie participe dans ses propres communautés et forums, notamment sous le pseudo Sailor (anagramme inversé d’Isolar) et interagis fréquemment avec ses fans pour discuter de ses futurs projets.

Un album live distribué en exclusivité via ce site, LiveAndWell.com, est resté longtemps inédit, bien qu’il soit le seul disque sur le Earthling Tour sorti à l’époque. La musique « Fun (Clownboy remix) », diffusée de la même manière dans un disque bonus de l’album live, est devenue par la suite un objet prisé des collectionneurs de bootleg. Les deux auront finalement droit à une réédition officielle en 2021, plus de 20 ans après leur création.

C’est dans cette mouvance technologique qu’il participe a la création de son monde virtuel dans le « metavers » (tels que l’appellent les jeunes) Worlds.com.
Développé dès 1994 par l’entreprise Worlds.net, Worlds Chat est un monde virtuel où plusieurs salles sur des thèmes dédiés peuvent être explorée via un avatar permettant d’interagir avec d’autres joueurs et discuter avec eux. Le concept peut maintenant être vu comme simpliste, mais était particulièrement bien conçu, notamment dans son aspect visuel très poussé : la vue est une sorte d’hybride entre FPS et troisième personne où l’on voit son personnage de dos dans des environnements en 3D texturés selon le thème du lieu. D’abord pensé comme interface d’un monde virtuel destiné aux enfants malades pilotée par Steven Spielberg, cet aspect du projet est abandonné à cause des limitations de la technologie de l’époque et se recentre plutôt sur l’aspect communautaire, avec une pointe d’interactivité. Après une phase beta terminée en 1996 par la destruction du monde, Worlds Chat rentre dans sa phase commerciale.

Durant ces années de rodage, Worlds Chat héberge AlphaWorlds où aura lieu le premier mariage dans un monde virtuel et des soirées à thèmes. En 1998, le logiciel change de moteur graphique et s’ouvre à la création de mondes sponsorisés, devenant Worlds.com au passage (Alphaworlds devenant de son côté sa propre entité). Des concours étaient organisés, ainsi que des soirées trivia, des soirées poésie… Parfois avec l’aide d’invités venus pour l’occasion. Parmi les mondes sponsorisés, on pouvait trouver un monde sur le thème Aerosmith, un monde basé sur Britney Spears, un centre commercial proposant diverses marques réelles, un autre sur les NY Yankees, la WWE (quand ils s’appelaient encore WWF) et bien sûr notre sujet du jour, David Bowie. Il est également possible d’y créer ses propres niveaux, plus ou moins cachés, ce qui fait exploser le potentiel de l’expérience. En 2001, le jeu avait 1 millions d’inscrits (plutôt pas mal, étant donné qu’il y avait moins de 100 millions d’abonnés à internet aux USA en 2000).
En 1998, dans le cadre de son initiative virtuelle, David Bowie crée un monde dans Worlds.Com, le bien nommé Bowie World. Il y a peu d’infos sur la création de celui ci, mais on peut supposer qu’il a été conçu dans la mouvance des albums « 1. Outside » de 1995 et « Earthling » de 1997 aux relents industriel et jungle techno, avec le même état d’esprit. Je les ait écoutés durant ma visite, et certaines musiques collaient très bien avec les décors !

Après une brève visite de la galerie pour choisir son avatar, la première salle est un regroupement de mains entourées par des bâtiment en sang. Je ne sais pas ce que représentent les mains, mais les bâtiments font référence aux décors de la tournée pour l’album Diamond Dogs. En cliquant sur celles-ci, des messages apparaissent :
- A call to arms without arms…..Fares vary according to distance. Exact change is NOT required.
- She’s part of the first porcelain doll collection ever! So lifelike, so precious.
- If you can find her somewhere in the street she used to go walking late at night…
- oooooooooooohhhhhjcxxxxxxx zzzzzzsaaaaa21(the cat wrote that)
- diamonds diamonds diamonds
- I have nothing to say……
- Sometimes at 3:00am you see the answers, but who has the clock?
- He could be in the…..you know….
- Figure out who the « Demon of Nonlinearity » is….



Via un dédales de bâtiments brutalistes (sans doute encore une référence a la dictature de Diamond Dogs), on navigue dans un labyrinthe jusqu’à trouver une arche et un musée.

Dans celui ci, des temples sont à la gloire de Bowie, comme ces quatre écrans diffusant des dessins représentant l’artiste.

On peut admirer une galerie de ses tableaux (qui étaient également en vente via son site).

Au centre de ce lieu, une église est présente, avec en son sein un mystérieux personnage cornu entouré d’un halo de lumière, en pleine élévation. Des mariages virtuels auraient eu lieu ici.

Je passe les galeries de photos retraçant la carrière de l’artiste par année (beaucoup d’entre elles semblent avoir disparues avec le temps) pour arriver à la salle du chaos, où un enchevêtrement d’animations en tout genre se jouent dans un capharnaüm visuel.


On fini par le Bowie Shop où il était possible de commander de la merch par internet !

Je diverge un peu pour montrer l’espace dédié à Britney Spears. Celui ci cache pour une raison inconnue un temple bouddhiste en haut d’une montagne en noir et blanc. De la même manière, le monde sur les Hanson nous fait sortir de leur concert par une porte donnant sur une étendue aride en plein désert américain. Est ce que de tels niveaux « cachés » étaient validés par les artistes? J’ai fait une capture d’écran de mon personnage attendant patiemment dans la loge de Britney, hâte de la rencontrer !

Un centre commercial :

Un mini jeu où il faut trouver des indices dans la foret de Blair Witch :

Quelques joueurs présents dans le « GroundZero », la place principale du logiciel.

Il y a plein d’autre choses dont je n’ai pas parlé (comme des HUB dédiés a la musique) car il me faudrait 200 captures d’écran. De toute façon, je vous conseille de le visiter en personne, c’est beaucoup plus prenant de s’y impliquer personnellement.
Forcément, avec l’évolution des technologies, ses graphisme datés et l’explosion des MMO en tant que hub social, Worlds.Com devient petit à petit oublié et obsolète. Un monde basé sur le rappeur DMC était prévu en 2008 mais n’a jamais été concrétisé. Laissé a l’abandon la même année, le logiciel doit pourtant rester légalement en ligne pour justifier un brevet sur les mondes virtuels déposé par le PDG de l’entreprise, Thomas Kidrin. Ce dernier s’amuserait depuis 20 ans à intenter des procès a tout concept se rapprochant de Worlds.Com, et ferait son beurre de cette façon, ayant eu de nouveau gain de cause aussi récemment que 2018 contre Bungie.
Devenu l’un des derniers vestiges de l’internet d’avant, Worlds.com est une curiosité fréquemment visitée par des intrépides explorateurs virtuels. Peut-être parce qu’il est le lieu le plus abouti visuellement du jeu, l’espace dédié à David Bowie en est depuis devenu la porte d’entrée et son existence s’est propagée sous le manteau parmi les communautés online avides de curiosités. A la mort de l’artiste en 2016, des fans se sont retrouvés dans les lieux pour partager leurs souvenirs entre initiés (j’ai d’ailleurs récupéré les trois gifs postés plus haut de l’article mis en lien). Jusqu’en 2020, le site était disponible tel quel, dans son jus de l’an 2000, et il fallait télécharger le programme puis chaque monde manuellement via des temps de chargement interminables. Depuis, le logiciel a été mis à jour et son accès facilité ; pour surfer sur la vague du Metaverse, les créateurs ont donné un petit coup de plumeau sur le programme et l’ont carrément renommé « Bowie World », faisant démarrer les joueurs dans l’espace dédié au chanteur.
On peut le télécharger ici, c’est gratuit, et très facile d’accès ! Pas mal de curieux continuent à arpenter les étendues de Words.com. J’ai d’ailleurs eu une brève discussion avec deux personnes au skin de golem dans la galerie des personnages pendant mon exploration. J’avoue cependant que se déplacer via les flèches du clavier tout en cliquant sur les décors avec la souris et devoir se cantonner à plein de petites pièces sans savoir où se rend son interlocuteur sur une minimap rend l’expérience un peu frustrante. Mais bon, comme dirait Abraham Simpsons, c’était la mode a l’époque !
Mise à jour : Les serveurs de Worlds.com on été coupés en octobre 2024 sans aucune annonce, le jeu est donc devenu inaccessible, mis à part en bidouillant les fichiers en mode hors ligne. Le site « Worlds.com » n’a pas été renouvelé, remettant le nom de domaine en vente. Il n’y a eu aucune communication sur ce sujet mais, Thomas Kidrin étant décédé en novembre 2025, cela est sans doute la cause d’un abandon complet du projet vu qu’il n’est plus nécéssaire de le perpétuer pour permettre les mises en procès systématiques. L’ironie étant qu’à six mois près, je n’aurait peut-être pas pu écrire cet article, alors que le logiciel a été accessible pendant plus de vingt ans. En tout cas, une version alternative a été mise en ligne par des fans, LibreWorlds, pour préserver cet univers.
World.com est aussi connu aujourd’hui pour avoir supposément hébergé un groupuscule communautaire aux relents sectaires. rumeur exacerbée par l’ambiance très « backroom » de l’univers. Pour ma part j’ai l’impression qu’il s’agit surtout d’un groupe de gens vaguement calés en informatique qui s’ennuient et ont fini par prendre ce jeu beaucoup trop au sérieux.