Mel Croucher, né en 1948 en Angleterre, s’initie a la programmation via les « machines musicales » où il fallait insérer des cartes trouées pour jouer des mélodies. Oubliant vite cette passion de jeunesse, il devient architecte plus par nécessité que par passion, et est (selon lui) l’auteur de la première carte topographique de Dubaï, accompagnée d’un guide audio sur cassette, qu’il confectionne après avoir été embauché par le Cheik pour y construire leurs premiers buildings. A l’abri du besoin grâce à son business florissant, il retourne dans son pays natal et se remet a sa première passion, la musique, en proposant des programmes sur une radio locale où certaines fréquences pouvaient être captées par des ordinateurs pour créer des mini jeux de quizz (j’avoue que je ne comprends pas trop comment ça marche). il fonde son propre studio en 1977, Automata UK, d’abord destiné a l’édition de guides touristiques mais vite détourné en 1981 pour éditer des productions vidéoludiques (initialement pour recycler un stock de cassettes invendues).

Petit aparté sur le ZX Spectrum. Ordinateur de bureau 8 bit sorti en 1982, il est conçu par l’entreprise anglaise Sinclair dans le but de produire le premier ordinateur personnel grand public, et en couleur. Sa grande popularité (c’est l’ordinateur le plus vendu de tous les temps sur le territoire) permis de faire exploser le marché UK du jeu vidéo, qui devint un des plus puissants au monde dans les années 80. L’une des particularités notables a été l’utilisation de cassettes similaires aux cassettes audio pour stocker les jeux sur bande magnétique (ce qui a rendu le piratage très facile). Le ZX Spectrum a vu sa production arrêté en 1992, après que les Amiga et autres PC aient pris le relais. Automata UK profite du format « cassette » pour insérer du contenu audio sur les parties inutilisées de celles ci, généralement des astuce en musiques, des easter egg ou des séquences humoristiques en rapport avec le logiciel.

Le plus grand succès commercial d’Automata UK, PiMania en 1982, met en scène un personnage de cartoon grotesque, PiMan (dont le nom vient de la touche « Pi » du ZX Spectrum), dans une aventure textuelle où il faudra trouver des trésors dans un lieu fantasmagorique. Sept de ces récompenses serviront dans la résolution de la quête finale, quand les autres devront être données au PiMan pour obtenir son assistance en le faisant changer d’humeur (par exemple, la tourte a la viande empêche le PiMan affamé de voler notre nourriture, ou du valium permet de calmer le PiMan apeuré). L’humour n’est pas sans rappeler le futur Monkey Island, notamment quand PiMania demande d’appuyer sur la touche « key » du clavier pour ouvrir une porte comme toute première énigme.

Malheureusement, bien que sur le papier le jeu soit très drôle, il souffre du défaut des productions de son époque : très nébuleux, le gros du gameplay demande de visiter chaque lieu à chaque avancée dans l’intrigue jusqu’à trouver celui où une nouvelle action est arbitrairement possible, ce qui ne représente aucun challenge mis à part demander beaucoup de patience. Le PiMan apparait fréquemment pour faire des « demandes » et agira différemment selon son humeur ; si on a pas l’objet qu’il veut, il en volera aléatoirement un de notre inventaire. L’humour absurde, bien que très original, n’est au final qu’une farce devenant rapidement un frein pour le plaisir de jeu.

Est ce que le PiMan, qui passe son temps à empêcher la quête d’avancer en interrompant sans cesse l’avancée naturelle du joueur, ne serait pas le premier troll de l’histoire? Il représenterait les développeurs qui, dans une volonté de verser une bonne dose de poil a gratter dans le t-shirt du pauvre individu devant son écran d’ordinateur, se jouent de lui en lui proposant une aventure au final sans grand intérêt qui se moque des autres jeux textuels et de leur récolte d’objets absurde. Ça ne rend pas l’expérience plus plaisante mais ça a le mérite, avec le recul, de faire ricaner.
En grand précurseurs des ARG, les joyeux lurons de Automata UK intègrent une chasse au trésor dans PiMania, inspirée du livre Mascarade sorti en 1979. Un « Golden Sundial of Pi » (le cadran solaire d’or de Pi) d’une valeur de £6000 était offert a ceux ayant décodé les indices disséminés dans le jeu et qui pouvaient être utilisés en parallèle pour trouver les éléments dans le monde réel. Le prix fut remporté trois ans plus tard (grâce à une belle piste sur les chevaux), mais aucune preuve de l’existence de l’objet n’existe mis à part une unique photo d’époque. Par la suite, d’autres concours permetront de gagner des prix plus conventionnels, comme un voyage a New York ; ces concours, en plus de permettre de faire de la pub a peu de frais, assurent un nombre de ventes conséquentes par ceux tentant de remporter les prix.
Une « soluce » a été publiée après la fin de l’ARG, montrant en BD les différentes étapes à effectuer (mais ici un walkthrough plus en profondeur sur les différents aspects du soft).



Fort du succès de son aventure très singulière dans le paysage vidéoludique de l’époque, PiMan devient la mascotte de la boite, et sera mis en scène dans plusieurs comic strip, des albums de musique, et pas mal de merch ; Christian Penfold, bras droit de Mel Croucher, se déguisera même comme le personnage dans divers événements publics. Des publicités sous forme de mini BD font apparition dans les magazines, et étendent l’univers du personnage. Automata UK, via le Piman, devient un éditeur culte dans ces premières années de l’histoire du jeu sur ordinateurs.


Pour les plus curieux, Pimania existe en version PC moderne via un portage Steam.