Punch-Out!! (1984-1987, Arcade et NES)

Punch-Out!! démarre son aventure début 1984 sur arcade, peu avant le carton de la Famicom qui fera rapidement abandonner les salles d’arcade au constructeur pour se focaliser sur le marché domestique. Conçu par la branche « Nintendo Research & Development No. 3 Department » de la firme de Kyoto, spécialisée dans le hardware, le jeu a été conçu par Genyo Takeda, le directeur du département, épaulé par Shigeru Miyamoto pour le design des personnages.

Comme vous pouvez le deviner, il s’agit d’un jeu de boxe haut en couleur où notre personnage devra grimper le classement du championnat jusqu’à récupérer la ceinture. Le combat « vu de dos » bien connu est déjà en place, bien que ce premier essai ressemble plus a un prototype du concept qu’à un véritable premier épisode, la faute a une ambiance étrange due à l’absence quasi totale de musique et un gameplay finalement plutôt approximatif, même si la mise en scène soignée (un système de zoom assez novateur permet des effets de travelling) et la patte graphique cartoonesque, qui n’est pas sans rappeler les adversaires bariolés de Kinnikuman (Muscleman en VF), donnent tout son charme a l’ensemble. Arcade oblige, le jeu n’a pas de fin, le cycle de combattants bouclant à l’infini pour permettre de faire péter le high score.

Cette version propose un personnage générique de boxeur en tant que protagoniste, symbolisé par un design quadrillé, vide pendant les combats pour permettre de mieux voir l’adversaire (qui reviendra en tant que costume dans Super Smash Bros. pour Little Mac), affrontant des stéréotypes de boxeurs plus ou moins offensants pour la nationalité visée (je pense a un certain adversaire italien justement nommé Pizza Pasta). Le boxeur traditionnellement le plus faible de la série, le pleutre Glass Joe, tire son nom de la « glass jaw », soit « mâchoire de verre », qui symbolise les combattants très facile à mettre KO par un crochet bien senti au menton. Et il est français, cocorico.

Glass Joe dans l’épisode Wii.

Dans une tradition de « gimmicks » censés appâter le chaland dans la salle d’arcade par une esbroufe technique, Punch Out!! propose une vue sur deux écrans superposés, celui du haut étant le score et le portrait des combattants, celui du bas étant le match en lui même. Causée par opportunisme par la commande en surnombre de moniteurs suite au succès de Donkey Kong, cette « vue » rappelle fortement le Game & Watch Multi Screen, gamme initiée au début des années 80 (et qui est l’ancêtre de la Nintendo DS). Cette configuration a l’avantage de ne pas entraver l’action en donnant toutes les données nécessaires, ainsi que quelques infos sur nos combattants, sur un écran annexe.

Pour célébrer cette nouvelle production, les stars Nintendo sont présentes dans le public ! On peut y voir Mario, Luigi, Donkey Kong et Donkey Kong Junior. Plus tard, sans doute devenu expert du sport, Mario deviendra arbitre. Mais c’est une histoire pour une autre fois (en fait j’en parle plus bas).

Ils sont en bas à gauche du ring.
Il existe également un Game & Watch Boxing, qui sera rebaptisé Punch-Out!! après le succès du jeu.

Suite au succès fulgurant de la borne (jeu n°1 de 1984 en arcade), sort une suite très rapidement pour la fin de l’année, Super Punch-Out!! (a ne pas confondre avec l’épisode Super Nintendo), qui est exactement le même concept avec un assortiment d’ennemis différents, toujours basés sur des stéréotypes. L’un des nouveaux ennemis, Vodka Drunkenski, deviendra connu pour avoir été censuré dans toutes ses apparitions suivantes. Comme son nom l’indique, il représente le stéréotype du russe violent et ivre, et son coup spécial, le « drunken punch », ressemble même au mouvement que l’on fait quand on boit a la bouteille. Dans les suites, il reviendra en tant que Soda Popinski, même si toutes ses répliques et ses animations reprennent le sous entendu alcoolique de son caractère, bien que la vodka soit remplacée par une bouteille de soda.

Vodka Drunkenski (encore lui), et le boss final Super Macho Man, sont vraisemblablement basés sur le catcheur Super Star Billy Graham, et plus précisément les deux looks qu’il a arboré durant sa carrière. Étant donné que les mêmes sprites sont repris pour former les deux personnages dans l’épisode NES, cette ressemblance laisse peu de place au hasard, même si elle reste non avouée. Je met les designs de Wii pour l’exemple, mais ce sont exactement les mêmes que sur arcade.

En 1985, un spin off basé sur le bras de fer fait son apparition dans les salles de jeu. Il reprends le même aspect technique que les deux jeux de boxe (double écran, vue de derrière) mais adopte un aspect encore plus cartoon, prenant place dans une foire où notre personnage défie des ennemis de plus en plus grotesque (un sumo, un robot, puis une créature de Frankenstein) mais tout comme les deux jeux précédents, l’intérêt est assez limité passé le premier cycle. Un des adversaire, Mask X, se révèle être a sa défaite Bald Bull, un des adversaire récurrents de Punch-Out!! portant un masque, liant définitivement les deux productions.

Bald Bull, poids lourds turc justifiant le fameux proverbe par ses coups dévastateurs, est le boxeur étant apparu le plus dans la série (il est dans tous les jeux sauf un), et a servi d’ennemi emblématique pendant un long moment, apparaissant souvent dans les objets promotionnels. L’épisode Wii jouera sur sa « popularité » pour justifier sa colère, étant harcelé par les paparazzis et les médias.

Cette année là sortira également une curiosité : un portage non officiel de la licence sur Commodore 64, Amstrad et ZX Spectrum par Elite Software ! Le jeu, profitant de l’apparition du boxeur anglais bien réel Frank Bruno en tant que protagoniste, n’est qu’un plagiat éhonté (et encore plus raciste) de la production Nintendo, qui se paye même le luxe de pomper également la musique de Rocky, histoire de. Pour ne pas être mesquin, on peut saluer le côté technique de la production, et l’utilisation de musiques d’entrées selon la nationalité du boxeur, précédent l’épisode NES de deux ans (rien que pour l’inclusion de la musique des bucherons des Monthy Python en tant que thème pour Bear Hugger, cela valait le coup). Pour l’anecdote, Frank Bruno sera vaincu deux fois par KO contre Mike Tyson, qui lui prendra même le titre de champion WBC en 1996.


Un premier épisode de la licence sur console de salon reprenant le même concept et certains des ennemis, toujours par la Nintendo R&D 3, est planifié pour octobre 1987. La puissance de la NES ne permettant pas d’afficher la même taille de sprites que l’original, notre protagoniste doit être maintenant beaucoup plus petit que ses ennemis pour permettre de mettre en valeur l’adversaire. Jouant sur ce fait, il devient « Little » Mac (peut être basé sur un jeu de mot autour du Big Mac de McDonald, qui sait?) ; enfin nommé, il gagne une origine, un entraineur adepte de la bicyclette (Doc Louis), un thème devenu culte, et devient de facto le visage de la saga. Le principe de combats « David contre Goliath » où les ennemis sont beaucoup plus forts et/ou impressionnants que notre protagoniste restera une tradition de la série à partir de cet épisode.

Little Mac contre Macho Man dans un des trois comics officiels publiés par l’éditeur Valiant sous licence Nintendo.

Il n’est pas clair si Little Mac est le même protagoniste que dans les épisodes arcade, mais tout porte a croire que l’opus NES est un « soft reboot » de la licence, où un nouvel aspirant champion part de zéro dans sa course a la ceinture. Little Mac tel qu’il est caractérisé sur NES apparait ensuite dans l’épisode Wii, en sautant celui de Super Nintendo (bien qu’il ait été envisagé, si on en croit une beta de celui ci), et dans Super Smash Bros., où il est « canonisé » comme la version officielle. Ce design iconique, tout de vert et noir vêtu, ainsi que les adversaires inédits, ont été conçus par Makoto Wada (à ne pas confondre avec son homonyme, également artiste et designer).

Malgré son manque flagrant d’envergure physique (1m40 à pour 50kg sur NES, taille qui sera plus tard retcon en 1m70 pour les suites), Little Mac rejoint la W.V.B.A (World Video Boxing Association), l’association de boxe officielle de l’univers de Nintendo, avec des rêves de grandeur. Et qui de mieux que Mario, la mascotte emblématique de la firme, pour servir d’arbitre? Connu pour faire à peu près tous les métiers du monde (mis à part plombier…), il rajoute ici encore une corde a son arc, entre pilote de rallye, charpentier, ou docteur. Comme pour renvoyer l’ascenseur, les boxeurs de Punch-Out!! apparaitront à leur tour dans le film Super Mario Bros sorti en 2023, célébrés par des photos accrochés aux murs d’une pizzeria de Brooklyn, dans la ville de New York (dont sont originaires Mario et Little Mac), reprenant une tradition des restaurants italiens.

On peut voir ici, tout a droite, une photo de Little Mac.

Une autre référence plus subtile est basée sur les mots de passe. Entre chaque adversaire vaincu, une série de chiffres est affichée, permettant de ne plus combattre les boxeurs précédents. Mais, un code caché existe, cette fois ci directement sur la console. En effet, en tapant le numéro de la hotline Nintendo (800 422 2602), une tonalité de téléphone « occupé » se fait entendre, comme pour se moquer du joueur voulant des astuces pour terminer un jeu difficile. Et cela fonctionne avec les numéros des bureaux de Nintendo of Japan (075 541 6113) et de Nintendo of America (206 882 2040).

Le numéro de la hotline est indiqué sous la console.

Le concept est donc le même, mais plein de petits détails sont rajoutés pour parfaire l’expérience. Les affrontement sont très simples, mais redoutable d’efficacité et de tension : plus un jeu de rythme que de combat, il faudra calculer et anticiper les attaques de l’adversaire selon le tempo de ses différents coups, caler une esquive quand il le faut, puis le frapper durant ses temps morts. Il est impossible ici de briser la garde ou de dominer par force l’adversaire, il faut anticiper et punir ses erreurs. Là où auparavant les bruitages étaient une manière de renforcer l’impact des coups, ils sont ici un indicateur des intentions de l’adversaire : chacune de ses attaques, ainsi que ses esquives, feront un bruitage bien distinct. Cet aspect particulièrement bien conçu permet au jeu d’être connu aujourd’hui pour ses speedrun « a l’aveugle », joués uniquement au son, en calant le timing sur la musique pour la durée des rounds.

Autre petit détail sympathique : dans le public, certains spectateurs réagissent au déroulement du match pour signifier le moment où il faut effectuer une esquive ou un coup spécial dévastateur. L’un d’eux baissera ses lunettes, quand on autre prendra une photo avec le flash. Ces indications n’ont été découvertes que récemment, et ne constituent pas un élément tactique très important.

Mis à par les thèmes de combat et d’entrainement et les morceaux repris de l’arcade, toutes les musiques sont des références a des airs connus. Glass Joe joue La Marseillaise, Von Kaiser joue La Chevauchée des Walkyries, Don Flamenco joue l’ouverture de Carmen, et Soda Popinski joue Les Bateliers de la Volga. Plus obscur, le thème principal est repris de l’émission Gillette Cavalcade of Sports, sponsorisée par la célèbre marque de rasoirs, et devenu par sa présence en début de chaque match de boxe synonyme du noble art.


Minoru Arakawa, président de Nintendo of America (et gendre de Hiroshi Yamauchi, patron historique de la firme), de passage à Las Vegas pour le Consumer Electronics Show de janvier 1986, assiste à un retransmission télévisée d’un match de boxe où il est impressionné par le charisme et la puissance de Mike Tyson qui met KO au premier round son adversaire David Jaco. Heureux hasard, le nouvel épisode de Punch-Out!! sur NES est en développement a ce moment même. Il insiste donc pour que le boxeur apparaisse d’une manière où une autre dans le titre, ce qui se fera sans trop de problèmes après un accord financier de 50000$, somme sensiblement assez dérisoire face a la popularité du futur champion, même si celui ci estime qu’il aurait plutôt touché 1,2 millions de dollars. Cet opus s’appellera finalement Mike Tyson’s Punch-Out!!, voyant tout son marketing tourner autour de son nouveau poulain.

En aout 1987, deux mois avant la date de sortie officielle, Mike Tyson devient le champion incontesté de boxe poids lourds en réunissant les trois titres majeurs de la discipline, consécration de sa carrière. Les astres s’alignant parfaitement, Nintendo possède le boss de fin idéal pour sa production, le meilleur boxeur actuel (et peut-être de tous les temps), à son top, juste après son ultime triomphe. Une version promotionnelle très rare nommée Punch-Out!! Gold sera distribuée Au Japon via des concours peu avant la sortie américaine, sans Mike en boss final, pour tester les eaux sur l’archipel.

Une lettre était incluse dans la boite du jeu, comportant un message inspirant écrit par Mike lui même. Elle est devenue un objet recherché des collectionneurs.

Combat très difficile, considéré comme un des plus durs de l’histoire du JV (ce qui est sans doute très surestimé, mais passons), l’affrontement contre Mike Tyson est depuis devenu légendaire : pour conserver son aura d’invincibilité et donner plus de tension au challenge, il deviendra l’ultime défi du jeu, pouvant étaler notre héros d’un seul coup bien senti. Pour espérer le vaincre, il faudra supporter ses coups ultra puissants lors de la première partie du round, puis contrer ses coups plus rapides dans la seconde moitié. Trop d’erreurs, et c’est un instant game over. Cela va sans dire qu’avant d’apprendre tous ses patterns, le joueur connaitra les autres boxeurs par cœur, ou bien aura sous la main le code pour arriver directement contre Mike (007 373 5963).

Sans cesse référencé dans la pop culture et synonyme du succès du jeu NES, Mike est notamment présent en boss dans le jeu parodique ultra difficile I Wanna Be The Guy, rendant hommage a son statut d’ennemi invincible. D’abord agacé par le fait qu’il ait signé un mauvais deal avec Nintendo face a la popularité du jeu et que son image y reste associé sans qu’il touche de royalties (plus de deux millions d’exemplaires vendus, soit un beau pactole), il en jouera ensuite souvent lors d’apparitions publiques en acceptant de s’affronter lui même dans diverses émissions et talk-show, notamment chez Jimmy Fallon.

En 1990, Punch-Out!! ressort, sans Mike Tyson, le contrat avec Nintendo était d’une durée de trois ans. Mike Tyson ayant perdu son titre la même année et devenant peu à peu un personnage très polémique dû a ses frasques en dehors du ring, il n’est pas jugé nécéssaire de renouveler la licence, devenue trop chère. Le boss de fin du jeu devient Mr. Dream, un nouveau boxeur inédit supposément basé sur Rocky Marciano, mais qui conserve les coups de Tyson. C’est cette version qui est depuis distribuée dans tous les portages modernes du Punch-Out!! de NES, maintenant nommée Punch-Out!! featuring Mr. Dream.

En parallèle se prépare une « suite spirituelle » nommée Mike Tyson’s Intergalactic Power Punch, développée par le studio australien Beam Software ; celle ci met en scène Mike Tyson, devenu le personnage jouable, étant défié par des boxeurs aliens après que son agent (le controversé Don King, son apparition faisant partie du nouvel accord) annonce qu’aucun combattant ne peut le vaincre. Il devra donc conquérir la ceinture intergalactique pour prouver une bonne fois pour toute sa supériorité.

Malheureusement, son accusation de viol en 1991 (pour laquelle il sera condamné en 1992) freine complétement la production. Le projet devient Power Punch II (comme un clin d’œil au fait qu’il soit une suite de Punch-Out!!, il n’y a pas de Power Punch 1) et Mike Tyson est retiré du projet, remplacé par un boxeur générique reprenant vaguement ses traits. Le produit final, assez mauvais, ne fait pas grand bruit. Pour les curieux, la version non censurée est trouvable en rom sur le net. Une autre « suite », toujours par Beam Software, sort en 1992, cette fois ci dans la mouvance du retour en force sur le ring de la légende de la boxe (et des grills), George Foreman’s KO Boxing.


On termine ici pour la saga Punch-Out!!… Pour le moment. Je ferais une suite a cet article lorsque j’aurais pris le temps de voir s’il y a des éléments intéressants sur les deux jeux suivants (SNES et Wii). Au cas où, sachez qu’ils sont tout deux excellents, et méritent d’être joués pour tout amateur de l’épisode NES.

PS : Je ne suis pas sûr a 100% de l’histoire sur Minoru Arakawa qui aurait eu l’idée d’appeler Mike Tyson après l’avoir vu combattre en 1986. Tous les articles sur le sujet reprennent cette info, et je ne trouve aucune indication contradictoire, mais je n’ai trouvé aucune interview de l’intéressé où il confirme ce fait. L’histoire est belle mais à prendre avec des pincettes donc. Si vous avez la source adéquate, je suis preneur !

En attendant, voici un florilège des différents épisodes dont j’ai parlé ici :

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