Les jeux Matrix (2003-2021)

Matrix est un film sorti en 1999, réalisé par Lana et Lilly Wachovski (initialement connues jusqu’en 2010 comme les « frères Wachovski », soit sous ce nom pour toute la saga Matrix), suivis par Matrix Reloaded & Matrix Revolutions, sortis respectivement en début et fin 2003. Une autre suite, Matrix Resurrections, est sortie en 2021, seulement réalisée par Lana.

L’histoire, tout le monde la connais mais je la résume tout de même, au cas où : Thomas Anderson est un employé de bureau malheureux, broyé par la société de consommation, son véritable passe temps étant de vendre ses talents de hacker sous le nom de Neo. Au détour d’une soirée, il rencontre Trinity, qui lui dévoile qu’il a la possibilité de découvrir la vérité sur la réalité qui l’entoure : l’espèce humaine est contrôlée par des IA, exploitants la puissance énergétique de leur corps comme batterie, qu’un petit groupe de rebelles s’efforce de combattre pour restaurer leur liberté. Il devra choisir son propre destin…

Cela va sans dire qu’il faut avoir vu les films pour lire convenablement cet article donc, si ce n’est pas le cas, allez y. J’attendrais.

Mêlant cyberpunk, musique alternative, esthétique gothique, cinéma de Hong-Kong et japanimation, le premier Matrix fut un phénomène social, comme une culmination en apothéose des contre-cultures des années 90 dans un pot-pourri révolutionnaire, marqué par une humanité anxieuse du futur bug de l’an 2000. Maintes fois parodié et copié dans des techno thrillers indigents, son héritage le plus persistant se trouve peut-être dans les jeux vidéos du début des années 2000 qu’il a influencé aussi bien dans l’esthétique que dans les mécaniques du « cool » directement apposées sur le gameplay (plus particulièrement les esquives spectaculaires et le « bullet time »). Il faut dire que Matrix, par ses thèmes demandant de rentrer dans un monde parallèle où le protagoniste découvre petit à petit sa toute puissance, ressemble énormément au schéma classique de la progression vidéoludique.

Dès la conception du premier film a été mise en place une campagne marketing inédite où un site officiel entretenait la hype en dévoilant du contenu inédit, des trailers cryptiques ou des éléments d’intrigues comme autant d’indices sur la véritable nature de la matrice, avec comme seul indice l’URL « What is the Matrix? » disséminée dans des spots publicitaires. Entre 1999 et 2003, ont été conçus pléthores de projets « cross média », dans l’attente euphorique du second épisode de la saga : le plus connu, Animatrix, est une compilation de courts métrages d’animation expliquant des éléments plus mineurs de l’intrigue. Il existe également une série de comics et webcomics qui, similairement, servent à explorer d’autres facettes de cet univers. Ces deux projets couvrent notamment l’origine de la rébellion des IA et leur conquête de l’humanité.


Plus directement, Enter the Matrix, édité en 2003 par Atari (en réalité Infogrammes ayant racheté la marque) et développé par Shiny Entertainment (les créateurs d’Earthworm Jim), est un élément essentiel à la compréhension de l’univers, sortant simultanément à Matrix Reloaded. Mêlant univers en 3D et prises de vues réelles exclusives tournées en parallèle de Matrix 2 & 3, le projet mets en scène Niobe (jouée par Jada Plinkett-Smith), la capitaine du vaisseau Logos et Ghost, son second, ayant leur propre petite aventure parallèle aux événements du film.

Il est possible de faire des acrobaties au ralenti, comme dans les films.

Suite au sacrifice de l’Osiris (montré dans un un des courts métrages d’Animatrix), nos deux protagonistes doivent informer le dernier bastion de l’humanité d’une attaque imminente sur la cité de Zion. Péripéties s’ensuivent, où ils affrontement des armées d’IA et rencontreront les personnages clefs de la saga (le Mérovingien, le maitre des clefs, l’Oracle et l’Agent Smith) pour enfin réussir à vaincre leurs poursuivants au prix de leur vaisseau. La conclusion du jeu fait directement un pont avec les films où Neo et Trinity secourent Niobe et Ghost échoués dans le monde réel. Les événements narrés ici permettent aux humains de se préparer au mieux pour la bataille prenant place dans Matrix Revolutions.

Les modèles 3D sont très réussis.

Malheureusement, là où l’idée est géniale sur le papier (raconter le destin des autres personnages dans différents projets), Enter The Matrix est plutôt timide dans l’expérimentation, l’aventure de Niobe et Ghost faisant beaucoup de parallèle avec des scènes déjà existantes du film en en remplaçant simplement les participants par ceux du jeu, sans doute pour ne pas faire exploser le budget en tournant trop de scènes couteuses en effets spéciaux pour un « simple » produit dérivé. Ce fait rajoute quelques petits éléments absurdes, tels le personnage de Monica Bellucci qui embrasse Niobe, Ghost et Néo dans la même journée, ou Seraph les affrontant tous les trois d’affilée, sans qu’aucun ne se rencontre. Ainsi, les cinématiques ressemblent plus à un remake du film qu’à une extension de son univers, pouvant au final être simplement résumées par leur postulat (les héros vont d’un point A à un point B pour délivrer un message). Enfin, Ghost manquant cruellement de charisme (désolé à son acteur, Anthony Wong), Niobe devient de facto le personnage principal du jeu, même si ils en partagent l’affiche équitablement.

La fameuse scène de l’autoroute est reproduite, se déroulant en simultané avec celle du film.

Le produit en lui même? Il est… Médiocre. Jeu d’action plutôt basique nappé d’une sur-couche Matrix, il offre un univers pourtant plutôt fidèle tant visuellement que dans certains éléments du gameplay (le bullet-time est bien présent, hérité de Max Payne qui était a son tour inspiré par le premier Matrix, la boucle et bouclée) mais le titre sort extrêmement bugué, aussi bien graphiquement que sur ses mécaniques, en plus de ne pas être très inspiré dans son level design, la faute a un développement chaotique où il avait fallu tout réinventer avec un budget réduit. Ironiquement, beaucoup de soucis viendront aussi du DVD pas assez spacieux pour contenir le jeu à son plein potentiel ainsi que toutes les séquences filmées. Il est aussi vivement critiqué, assez injustement cette fois, pour son absence de personnages « fan favorite » jouables (Néo, Morpheus, etc) alors que c’est justement le parti-pris du titre. Il se vendra pourtant extrêmement bien (6 millions d’exemplaires), cimentant la viabilité d’une suite qui se devait d’améliorer tous ses défauts.

Devenant une petite rareté au fil des années, le projet Enter The Matrix est revisité (en version non jouable, forcément) sur un disque bonus de l’Ultimate Matrix Collection.

Une console de commande intégrée permet de « hacker » le jeu pour débloquer du contenu et des cheat-codes.

L’année suivante, en 2005, sort The Matrix: Path of Neo, cette fois-ci une adaptation directe des trois films mettant les joueurs au contrôle du protagoniste de la saga, par la même équipe de développement.

Reprenant peu ou prou le modèle de Enter the Matrix, les Wachowski concoivent le jeu comme une sorte de pseudo-remake/director’s cut de la trilogie. Ainsi, bien que les éléments les plus « calmes » sont tronqués (ou disponibles via des extraits des films), sont rajoutés des phases de combat et d’exploration qui sont d’autant d’événements alternatifs ; on peut noter la fuite réussie face aux agents au début de Matrix 1 ou des affrontement contre des fourmis géantes dans un escalier d’Escher (!) au sein de l’antre du Mérovingien de Matrix Reloaded. On peut également prendre la pilule bleue au tout début, et donc quitter le jeu prématurément sans aucune phase de gameplay. Seule manque la grande guerre de Zion de Matrix Revolutions, mais Néo n’y étant pas présent, c’est compréhensible.

Neo et Seraph s’affrontent devant la séquence du film correspondante, accompagnés d’un spectateur qui râle en fond sonore.
Les Wachowski dans toute leur gloire pixelisée.

Le changement le plus est pour la conclusion de la saga, où originellement (spoilers pour un film du début du siècle) Néo se sacrifie en se laissant absorber par l’agent Smith, offrant ainsi une troisième voie au combat éternel du « bien » contre le « mal » qui permettait à la matrice de subsister. Dans le jeu, Larry et Andy Wachowski (avant 2010 j’ai dit) apparaissent en figures pixelisées pour indiquer au joueur qu’une fin où le héros meurt sacrifié sans se battre n’est pas très gratifiante ; plutôt, l’agent Smith devient un mécha en absorbant les bâtiments environnants et offrira une bataille finale dantesque. Le jeu se conclut par les humains survivants déclamant la fin de la guerre sur « We Are The Champions » (oui oui, de Queen) et rideau.

Ainsi, la théorie veut que les Wachowski offrent un discours ironique, voire condescendant, envers les joueurs qui veulent juste de la bagarre et rajoutent un dernier doigt d’honneur avec la musique la plus éculée pour une victoire, n’offrant absolument aucune conclusion à tous les thèmes présentés le long de l’aventure ; voire même par protestation face au studio qui aurait exigé un boss final imposant. D’après les développeurs, ce n’était pas l’intention, mais plutôt de faire quelque chose de plus léger que le ton des films, volontairement improbable, comme en témoigne l’utilisation du titre de Queen qui coûta une belle somme afin d’obtenir les droits « juste pour la blague ». Et encore, je n’ai pas parlé de tout ce que le jeu peut offrir d’easter eggs absurde, il faudra y jouer pour les découvrir.

L’idée originale était d’avoir un Godzilla fait d’agents Smith, mais les droits n’ont pas pu être obtenus auprès de la Toho.

Pour ce qui est du côté gameplay et graphismes, c’est correct, et une bonne amélioration de la formule d’Enter The Matrix, sans être un chef d’œuvre. Un bon produit pour les fans, fidèle a son époque, mais pas forcément très mémorable. Pour info, apparemment la version PS2 est la meilleure.

Ça fait doublon, mais je suis obligé de partager cette vidéo rien que pour le fait qu’il s’agisse d’une des premières vidéos publiées sur YouTube.

Enter The Matrix et Matrix : Path of Neo sont des produits moyens, aux qualités certaines mais ne surpassant pas leurs défauts, la faute peut-être a un mauvais choix de studio pour le développement (les Wachowski auraient envisagé Hideo Kojima ou Bungie, avant de se raviser par manque de budget, même si Kojima a déclaré en 2025 n’avoir jamais été au courant de la proposition). En tout cas, ils restent de belles curiosités, qui s’inscrivent parfaitement dans la continuité de la saga, pour ceux désirant découvrir une vision plus libre et expérimentale des Wachowski, correspondant peut-être à une retranscription plus fidèle de leur esprit.

Pour aller plus loin, une interview des développeurs.

Suite en Page 2 !

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