Le foot et le Brésil? Toute personne suffisamment civilisée saura que le pays d’Amérique Latine est un fana du ballon rond, au point que sa sélection est la plus titrée au monde et que ses joueurs sont souvent des prodiges de la discipline. Introduit dans le pays par les migrants européens à la fin du 19e siècle, il devient rapidement une sensation nationale, jusqu’à iconiser son joueur le plus fameux dans les années 1950, Edson Arantes do Nascimento, AKA Pelé (dont le vrai nom aura inspiré celui de Samus de Metroid, mais c’est une histoire pour un autre jour). Gagnant trois coupes du monde et devenant pour beaucoup le meilleur joueur de tous les temps, Pelé cimentera définitivement la popularité du pays et son importance dans la discipline. D’ailleurs, pour lui rendre hommage, le premier jeu de foot sous licence officielle sera Pelé’s Soccer en 1981 sur Atari 2600 (même s’il n’apparait que sur la boite et le livret, le logiciel lui même étant une version alternative de Championship Soccer).
Je ne vais pas m’étaler sur une leçon de foot, donc passons quelques années où le sport reste tout aussi populaire dans le pays pour arriver directement dans les années 90 : Superstar Soccer, Sensible Soccer, EA Soccer ou encore Kick Off ! se partagent le gâteau footballistique vidéoludique. Forcément, finances obligent (et le jeu officiel FIFA qui fera son apparition en 1993), les jeux n’ont pas les licences officielles des joueurs, ce qui les forcent à inventer des noms plus ou moins parodiques ; de toute façon les graphismes de l’époque font que tous les modèles de joueurs sont interchangeables mis à part la couleur des maillots. On se retrouve par exemple avec des Facu (Cafu), Roberto Larcos (Roberto Carlos) ou encore Ronaird (Ronaldo).

Au Brésil, les premiers mods destinés à restaurer les noms des fiertés locales commencent à poindre le bout de leur nez : notablement, la team Twin Eagles Group basée au Pérou s’est faite une spécialité des « retraductions » pour l’Amérique Latine des jeux de football sur consoles Nintendo. Au delà de la traduction des noms, ils modifieront les jeux en profondeur pour y rajouter du contenu inédit, ce qui n’était pas une mince affaire : sans internet ni kit de développement officiel, ils devront développer leurs propre outils pour extraire et modifier les roms et les réinjecter dans les cartouches. Outre un certain nombre de jeux SNES, ils seront notamment responsables de Mundial Ronaldinho Soccer 64, un mod de International Superstar Soccer 64 connu pour son écran titre d’anthologie, dans un accent « portug-spagnol » incompréhensible du public cible, et qui deviendra un meme absurde en 2020. Twin Eagles Group s’arrêtera en 2003, suite à de nouvelles lois sur le piratage au Pérou.
Au début des années 2000, la facilité de pirater les jeux sur support CD n’a qu’aidé la propagation et la copie de ce contenu. Campeonato Brasileiro, Copa Libertadores, Copa Do Mundo 2002, autant de noms qui pourront résonner parmi les jeunes brésiliens fans de jeux vidéos du 3e millénaire. N’étant sorti qu’en 2009 officiellement dans le pays, la PS2 était majoritairement importée au Brésil, il était salvateur pour les joueurs locaux de pouvoir obtenir un patch éventuel pour comprendre les écrits.
L’un d’eux, Allan Jefferson, propriétaire d’un magasin de location de jeux vidéos à Mogi Mirin, un quartier de São Paulo au Brésil, organise fréquemment vers 2006-2007 des tournois sur Pro Evolution Soccer 6 dans son magasin, utilisant le mod Brazucas comme base traduisant les versions japonaises originales (Winning Eleven 10) en portugais. A ses 24 ans, il organisera un tournoi chez lui et, n’ayant pas de prix à offrir aux gagnant, il prit dans sa cuisine des « bomba de chocolate » (des sortes d’éclairs au chocolat) qui étaient la spécialité de sa mère, pour les offrir comme récompense. Même si les tournois suivants ont eu des prix plus conséquents, le gagnant réclamait toujours une bomba de chocolate, qui donna rapidement son nom au tournoi, la Copa Bomba. Indirectement, ce tournoi servait aussi à contrecarrer l’arrivée des « LAN House », des sortes de cybercafés improvisés dans des garages permettant aux brésiliens de jouer aux jeux vidéos à l’heure, contre rémunération.

D’abord en éditant manuellement via les menus du jeu les noms des joueurs, il distribue une sauvegarde spéciale avec tous les noms officiels des joueurs brésiliens qu’il utilisera pour les tournois, se propageant dans tout son groupe d’amis. Ce succès le motivera à créer une vraie version du jeu avec les noms intégrés en apprenant les outils de moddeur via des forums et des communautés internet (il aurait d’ailleurs travaillé dans les années 90 sur une traduction de International Superstar Soccer), et le distribuera sous le manteau via des versions pirates physiques moddée de PES 6. Ne se contentant pas de créer les noms, il remplacera carrément certaines équipes par des équipes locales absentes de la simulation de foot, comme São Paulo ou les Conrinthian. Le Bomba Patch était né, prenant le nom du tournoi qui l’avait inspiré, et sera mis à disposition dans son magasin. Il profitera de son expérience pour également produire des mods de GTA San Andreas, un autre chouchou de la scène modding.

Arrivant au moment de rentrer à l’université, il quitte Sao Polo pour se rendre dans son village natal de Mulungu et être au calme dans le but d’étudier pour son examen d’entrée. Ses amis, à qui il avait donné des copies du mod pour s’entrainer, le distribuèrent également de leur côté, ce qui créa un effet boule de neige qui fit exploser sa popularité et en fit un phénomène social. Comme Allan n’avait pas internet dans la ville où il habitait, il ne pouvait pas être mis au courant de la popularité nouvelle du Bomba Patch : il l’apprendra un an plus tard en visitant Guarabira, une ville voisine, et en voyant son patch vendu dans un magasin de jeu vidéo local. Le commerçant, sans perdre le nord, lui proposa d’avoir les mises à jour en exclusivité en promettant de financer ses études si il acceptait, une offre assez alléchante, difficile à refuser. En plus du parrainage pécunier, il intégrera l’enseigne du magasin dans les encarts publicitaires des stades, ce qui eu l’effet pervers de faire croire aux joueurs que le magasin était responsable du patch.
Problème : il avait oublié qu’une fois de retour chez lui il n’avait aucun moyen d’uploader la mise à jour sur internet et l’envoyer au propriétaire du magasin. Son cousin, conseiller municipal, contacta le technicien pour lui installer une connexion réseau. Nouveau soucis : il n’y avait pas d’antenne à Mulungu ! Le seul moyen était de l’installer sur le bâtiment le plus haut du village, l’église. Le bâtiment ayant subi des dégâts à cause de la foudre peu avant, Allan se servi de cette opportunité pour profiter des travaux et installer une antenne en douce. Malheureusement pour lui, un voisin alerta le prêtre, qui appela aussitôt Allan pour le réprimander ; sans se raviser, il indiqua que c’était un acte altruiste pour installer un paratonnerre. Le prêtre donna sa bénédiction à Allan, et il pu installer l’antenne relais sans problèmes.

Pour annoncer la bonne nouvelle, le prêtre annonça via une voiture équipée d’un haut parleur que l’église était de nouveau sûre, via une chanson : « 100 % sûr, vous pouvez rentrer, prions Dieu, qu’il nous bénisse ». Cela inspira Allan un thème musical pour Bomba Patch, qui aura donc ces paroles : 100 % mis à jour à 100 % – C’est difficile à supporter – Bomba patch est devenu à la mode – Tout le monde veut jouer », et sera produit dans le studio chargé des gingles musicaux politiques de son cousin.

Durant les années suivantes, la popularité du Bomba Patch n’a pas perdu de sa superbe, certains pensant même que le patch a gardé en vie la PS2 au Brésil encore à ce jour, bien qu’il existe des versions pour tous les supports existants. Il faut dire qu’avoir un jeu toujours d’actualité (on est actuellement a la version 87), avec les équipes locales, sur une console très répandue et peu couteuse est un avantage non négligeable pour un pays dont le citoyen médian n’a pas forcément un très grand pouvoir d’achat. De plus, le Brésil a déjà un passif avec le fait d’exploiter des hardware vieillissants bien après leur fin de vie (il faut vraiment que je parle de la Master System au Brésil, un jour…). Bomba Patch aurait été téléchargé plus de 100.000 fois en 2021, et sans doute encore bien plus en comptant le piratage.

Bien qu’il supervise toujours le projet, Allan a enseigné ses méthodes de mod pour que tout le monde puisse faire sa propre version, son objectif étant que Bomba Patch devienne une agglomération de mods faits par des tas d’amateurs motivés pour obtenir une expérience PES ultime. Cela ne l’empêche pas, en plus de poster des tas de memes sur son patch sur les réseaux, de réaliser des versions alternatives répondant à l’actualité, comme le retrait de la Russie après l’invasion de l’Ukraine, le président Lula jouable, ou une version « Covid » avec des masques médicaux sur les joueurs.

Sources : Ici, ici, ici, ici et ici.