Marvel vs Capcom – Partie 1 (1994-1996)

Crée en 1963 par Jack Kirby et Stan Lee, les X-Men ne sont originellement pas un grand succès, le premier « flop » du duo dans ces années d’inventivité florissante où ils créeront pourtant les figures les plus notables de l’écurie Marvel comme Iron Man, Les 4 Fantastiques ou Hulk. Le concept est bon, certains personnages emblématiques sont déjà là, mais le ton est assez niais et la série ne semble pas savoir où elle va ; sa publication se verra gelée vers le numéro 60 avant cinq ans de réimpressions d’aventures précédentes, et ses membres feront des caméos de luxe dans d’autres séries (le plus notable étant Beast devenant un Avengers). C’est en mai 1975, pour la sortie de « Giant Size X-Men #1« , que sont intronisés des membres du monde entier comme nouvelle équipe de mutants (récupérant au passage un certain Wolverine, déjà apparu brièvement comme « méchant de la semaine » dans la série Hulk), apportant un renouveau salvateur pour raviver l’équipe.

En août de la même année, le scénariste Chris Claremont prends les rênes de la série avec le numéro 94 pour ce qui sera sans doute l’œuvre de sa vie : travaillant seize ans sur la licence, il créera une grande partie des concepts et personnages gravitants autour de l’équipe, comme toute la caractérisation de Wolverine et la dynamique des différents mutants. Son œuvre comporte 400 numéros, dont 290 numéros de X-Men et des tas de séries annexes, écrivant parfois plus de cinq séries en parallèle par mois, se répondant toutes d’une manière où d’une autre, et se croisant parfois au détour d’un « event ».

Prenant un parti pris social qui n’existait que vaguement auparavant, ses plus grandes histoires tournent autour de sujets tabous qu’il était difficile d’aborder dans un format encore fortement rattaché au « comic code » (en résumé, une commission formée suite aux mensonges d’un psychologue sur l’impact négatif des comics sur les enfants, chargée entre 1956 et 1971 de censurer voire interdite les productions jugées « immorales » selon les codes du puritanisme américain). Ainsi, il abordera avec un réalisme cru le racisme auquel font face les mutants dans « X-Men : Dieu Crée l’Homme Détruit« , leur génocide dans Days of Future Past, vengera l’agression sexuelle de Carol Danvers où elle rejoindra les X-Men après un monologue assassin, fera une allégorie de l’euthanasie via La Saga du Phénix Noir, ou fera passer entre les lignes (car il avait interdiction d’en parler explicitement) la transsexualité de Mystique et l’homosexualité de Northstar.

De part l’aspect hétéroclite et cosmopolite de l’équipe, respectant l’individualité de chacun tout en apportant un message universel autour de la tolérance, épaulé par l’inventivité folle des différents concepts et son ancrage des les problèmes sociétaux actuels, les X-Men ont enfin atteint leur plein potentiel en devenant de facto l’équipe phare de chez Marvel, au détriment des (trop lisses) Avengers. Au delà de Wolverine qui n’aurait simplement jamais été populaire sans sa contribution, le plus grand personnage de Chris Claremont est a mon avis Tornade qui suite à un arc narratif complet où elle devra se retrouver après avoir perdu ses pouvoirs (et adoptera un look « punk » du plus bel effet), deviendra la leader incontestée de l’équipe de mutants.

Culminant sur leur évolution logique durant la décennie précédente, les X-Men représentent une idée de la rébellion et un esprit contestataire s’éveillant peu à peu dans la société américaine durant les années 90, l’équipe collant parfaitement aux balbutiements du grunge et du rap avec ses personnages de plus en plus violents et extrêmes comme Wolverine ou les nouveaux venus Cable ou Gambit, adeptes d’une justice expéditive. L’arrivée de la nouvelle génération d’auteurs à peine entrés dans l’âge adulte (tels Todd McFarlane ou Rob Liefeld), au trait ultra dynamique faisant fi des codes visuels établis et transcendant le découpage classique des planches, cimente le nouvel âge de Marvel.

Le premier numéro était disponible sous 4 couvertures différentes, formant un combat épique.

En 1991, sort le « relaunch » (retour au numéro 1) de la série, illustré par l’un Jim Lee, l’une des stars montante des comics de l’époque (qui partira crée Image Comics deux ans plus tard avec ses compères, mais c’est une autre histoire). Faisant office d’épilogue au légendaire run de Chris Claremont et d’une passassions de flambeau entre deux générations, cette nouvelle série est plébiscitée pour les nouveaux costumes inaugurés par le dessinateur qui deviennent pour la plupart leurs design définitifs auxquels on les associent encore aujourd’hui. Du fait de facteurs divers (spéculation sur le marché de la revente notamment), ce numéro 1 est le comics book le plus vendu de tous les temps, avec 8 millions d’exemplaires écoulés.

Je ne peux m’empêcher de partager le générique japonais, tellement plus épique.

Profitant d’une entrée fracassante comme un phénomène de pop culture, la licence X-Men est adaptée en dessin animé dès 1992, ce qui la propulsera définitivement dans le mainstream : cette série adapte sur cinq saisons les arcs narratifs les plus cultes de Chris Claremont, les rendant enfin accessibles au grand public et faisant exploser en popularité Wolverine, qui devient le fer de lance de la licence. Les produits dérivés suivent évidemment : on peut noter une ligne de figurine qui prendra inspiration dans toute l’histoire des mutants et qui, en plus d’adapter le dessin animé qui cartonne au même moment, devra gratter dans les fonds des tiroirs de Marvel pour continuer a proposer des personnages inédits sur ses huit ans d’existence. Du côté des salles d’arcade, un jeu culte par Konami (jouable a 6!), adapté non pas du dessin animé sus-nommé mais en prévision pour d’un pilote avorté d’une série en 1989, sort juste au bon moment pour surfer sur ce succès. Tout est au beau fixe pour les mutants.

Je vous vois venir : « on est pas censé parler de jeu vidéo ici? ». Et bien si ! Mais cette mise en contexte est très important pour poser le contexte de la popularité de l’équipe de mutants. Et puis je fais ce que je veux, d’abord. Par ailleurs, une grosse partie de la suite de mon article est basée sur cette interview.


Katsuya Akitomo entre chez Capcom en 1991. Illustrateur et designer, il est également anglophone et un avide fan de comic book américain, en particulier ceux de Marvel. C’est en voyant Captain Commando, beat’m up d’arcade sorti l’année de son arrivée, qu’il perçoit la volonté de plaire au marché américain de ses collègues en mettant en scène un personnage dérivé des super héros ; malheureusement ceux ci ne connaissent pas bien le média et ne savent que s’inspirer de ce qu’ils pensent coller au sujet. Captain Commando semble bien plus influencé par le tokusatsu que les super héros. Akimoto se charge alors d’amener des comics aux bureaux de Capcom pour diriger ses collègues sur le droit chemin. Cet engouement croissant pour les BD américaine motive Capcom a acquérir certaines licences Marvel pour pénétrer le marché occidental.

En 1993, sort une mise en bouche pour concrétiser ce deal, le beat’m up « The Punisher » adapté de l’anti héros éponyme. Jugé trop violent par Marvel qui déplorent ne pas avoir assez surveillé la conception du titre, le jeu est une production correcte, très fidèle au comics, qui aura un succès honorable. Un très fidèle portage Genesis sortira en 1995, proposant trois modes de difficulté, dont une option « FACILE » se terminant prématurément au bout de trois niveaux sur un Caïd moqueur.


Akira Nishitani, le designer de Final Fight et Street Fighter II, inspiré par la versatilité des compétences des mutants, décide que son prochain jeu de combat mettra en scène l’univers des X-Men. C’est le bien nommé X-Men : Children of the Atom.

Ce qui marque au premier abord, c’est la fidélité exemplaire de la production a son support d’origine. Véritable lettre d’amour à la série initiée par Jim Lee, chaque arène représente un lieu emblématique de la série (comme la salle des dangers), et chaque personnage a son propre panel de compétences totalement uniques selon ses pouvoirs : dans le but d’épouser la folie des comics et de rendre justice aux compétentes surnaturelles de nos héros, l’accent a été mis sur la surenchère d’effets, de compétences, de combos… Cette production se veut être l’antithèse de Street Fighter II qui créa le concept de combo même où chaque coup est savamment placé et chaque enchainement mérité ; ici, il suffit de marteler les bouton pour envoyer l’adversaire dans les airs et lui asséner un rayon laser dévastateur qui lui infligera un enchaînement de 20 coups. Cela n’enlève pas la profondeur du titre qui nécessite une attention à toute épreuve pour maintenir ses attaques, même si ce premier épisode est encore assez lourdaud.

Katsuya Akitomo est évidemment appelé a la rescousse pour s’assurer que les choix de personnages soit cohérents. Pour rester dans l’actualité, c’est l’histoire « Fatal Attractions » de 1993 qui est choisie : la team de X-Men est donc celle apparaissant dans ces comics, proposant cinq héros et quatre méchants, plus Magneto en boss final. Cependant, Marvel s’étant réservé un droit de regard après le jeu Punisher, Gambit et Malicia, pourtant présents dans l’histoire, sont omis du produit final : l’un étant un bandit ambivalent et donc ne peux pas vraiment se classer dans un camp (Marvel étant inquiets de la représentation de la violence dans leurs produits dérivés), l’autre ayant des capacités trop compliquées a retranscrire fidèlement pour les développeurs (copier les pouvoirs et l’apparence de tout le cast au moindre toucher).

Fatal Attractions est maintenant surtout connu pour être l’histoire où Wolverine perds son adamantium.

Petite surprise, mais pas des moindres : Akuma de Street Fighter apparait en tant que personnage caché ! Selon Tatsuya Minami, le contrat entre Marvel et Capcom stipulait qu’un personnage de Street Fighter devait apparaitre dans le jeu. Comme pour continuer dans la tradition du personnage caché dans jeu vidéo qu’il a initié, Akuma devient maintenant le premier personnage « guest » de l’histoire du jeu de combat (peu avant Ryo dans Fatal Fury).

Soucis de taille : les voix. Les dialogues initialement enregistrés en interne par Capcom sont refusés par Marvel, qui jugent que les accents japonais sont trop audibles (mis à part Silver Samurai, évidemment). Devant trouver un remplacement d’urgence, Alex Jimenez, le responsable du design chez Capcom USA, parvient a contacter le studio de doublage qui s’occupe de la série animée X-Men. Ainsi, tous les personnages gagnent leurs voix officielles, et il n’y aura plus de soucis de validation préalable.

X-Men : Children of the Atom aura un grand succès dans les salles a sa sortie, amorçant avec brio un nouveau succès populaire pour Capcom.


En parallèle, se prépare le petit frère de X-Men : Children of the Atom, un jeu cette fois ci basé sur l’univers Marvel en général, par une équipe annexe. La Saga de l’Infini, maintenant bien connue des amateurs du MCU, est choisie comme intrigue principale du fait de la présence de tous les héros dans son climax. Le jeu s’appellera Marvel Super Heroes, et sortira en 1995.

Le fameux « snap », version comics.

Comme pour X-Men, Marvel a le dernier mot sur les personnages. Ils refusent l’inclusion Thor ainsi que celle de Venom, beaucoup trop populaire dans cette période pour être un simple méchant secondaire, mais imposent le quasi inconnu Blackheart, le fils de Mephisto, sans doute pour remplacer son père bien présent dans l’histoire mais a l’aura trop sulfureuse : une attaque ultime où il devait apparaitre a été supprimée, mais il sera tout de même en fond de l’arène finale. Outre les obligatoires Spider-Man, Iron Man, Hulk et Captain America, se retrouvent quatre personnages du jeu X-Men repris tels quels, et Shuma-Gorath, un très obscur ennemi de Dr Strange et Conan, initiant une tradition de personnages obscurs dont la série se fera une spécialité. Dr Doom conclut ce choix hétéroclite en tant que sous boss.

Histoire d’origine oblige, la grande nouveauté sera l’arrivée des gemmes de l’infini, chacune ayant un pouvoir unique influant sur le rythme du jeu (temps, esprit, etc). Au delà de l’augmentation des stats, certaines auront un effet propre au personnage, comme dupliquer les attaques de Spider-Man ou ajouter de l’électricité à celles d’Iron Man. Mais attention : il ne faudra pas trop s’y habituer car le boss de fin, Thanos, les récupère toutes au début du combat ! Et oui, on les avait en fait récoltées pour lui amener, contre notre gré.

La petite Anita, hantise de l’univers Marvel.

En lieu d’Akuma, une autre incursion de Capcom est ici jouable, Anita de Darkstalker. Dans son jeu d’origine, un personnage très secondaire apparaissant dans les animations du chasseur de vampires Dimitri, elle est ici sélectionnable avec une manipulation spéciale (uniquement dans la version japonaise), et semble étrangement être très mal codée. Sans portrait, sans nom, sans cinématique de fin, ses coups sont particulièrement destructeurs car elle n’a pas été assez testée en amont pour l’équilibrage, ce qui en fait un personnage quasiment imbattable dans de bonnes mains. D’autres références à l’univers Darkstalkers apparaissent dans la version japonaise du jeu en place des gemmes de l’infini.

Au delà de quelques subtilités de gameplay héritées de Street Fighter Alpha et du roster plus divers, cet opus reste très similaire a son prédécesseur.


En 1994 et 1996 sortiront deux beat’m up sur Super Nintendo reprenant les éléments graphiques de ces deux jeux. Loin d’être des grandes productions, ce sont deux petites curiosités plutôt sympathiques pour les fans de comics et les avides de productions Capcom méconnues. A noter qu’ils sont sortis en fin de cycle de la console, ce qui a desservi leur popularité.


Après ces deux essais réussi, quelle sera la prochaine étape? Une suite de X-Men? Une suite de Marvel Super Heroes avec des personnages encore plus farfelus? Pour continuer dans la lancée d’Akuma contre les mutants, un crossover inattendu est développé en 1996 : X-Men vs Street Fighter ! La série Marvel vs Capcom est enfin officiellement née.

Le jeu adopte un système de « tag team », un des premiers (le second après Kizuna Encouter), où chaque combat se fera en équipe. Le premier personnage, au premier plan, pourra invoquer le second pour l’aider si nécéssaire, voire le remplacer : mais attention ! La vie ne remonte pas (ou peu), ce qui rendra les changement plus tactiques. En un seul round, le combat se termine quand une équipe est vaincue.

Le roster revient peu ou prou a la sélection de « X-Men : Children of the Atom« , en en retirant certains mais en ajoutant Malicia et Gambit qui avaient été écartés initialement, comme une vengeance du duo. Dans le camp Street Fighter, c’est la mouture « Street Fighter Alpha » qui a été choisie comme base, en recyclant certains personnages de Street Fighter 2 dans un style plus manga (dont Cammy qui apparait ici pour la première fois dans son apparence « shandaloo »). Il y a finalement dix-sept combattants, soit huit de chaque écurie plus un caché.

Il y a eu une série de figurines « versus » par Toybiz en 1998, dont ce Wolverine vs Akuma que j’aurai tué pour l’avoir enfant.

Pour combler l’écart de puissance entre les univers, celui de Street Fighter étant un peu plus « réaliste », les potards de la surenchère sont mis au maximum. Par exemple, le hadoken de Ryu, qui fait habituellement des boules de feu assez lentes simple à esquiver peut maintenant faire des rayons lasers gargantuesques dignes du kamehameha. De la même manière, le fameux coup de pied multiple de Chun-Li traverse tout l’écran dans un dash mortel et sa boule de feu l’entoure tel un bouclier ; vous avez saisi l’idée. Les combo extravagants et les sauts lunaires sont encore une fois ici présents pour notre plus grand bonheur. Malheureusement, la profusion d’exagération de la production rend le jeu très déséquilibré, ce qui permet des enchainements infinis pouvant casser un petit peu le fun de l’adversaire peu aguerri.

Continuant dans la mouvance des jeux précédents, un nouveau méchant emblématique de Marvel fait office de boss final. C’est ici Apocalypse, le tyran mutant millénaire, qui se propose d’affronter le joueur. Une fois vaincu, celui-ci n’est pourtant pas l’affrontement ultime ! Il faudra combattre son coéquipier fidèle, comme un combat fratricide, pour enfin en terminer et admirer les crédits de fin.

Grand succès en arcade de par son originalité manifeste, X-Men vs Street Fighter s’offre également un portage Sega Saturn excellent (mais qui nécessite une extension de ram pour fonctionner correctement) qui fait office de version de référence pour le titre.


Mais quand est ce que Marvel se mêle avec Capcom? Quand est-ce que Megaman pourra affronter Venom épaulé par Thor? Tout ça et bien plus dans une future partie 2 !

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