L’odyssée de Gilgamesh

Originaire des premiers mythes mésopotamiens, Gilgamesh est le sujet d’un des premiers récits fictifs de l’histoire, conté dans sa forme la plus primaire vers 2000 avant Jésus Christ, où il inaugure le premier exemple de l’archétype de la quête du héros. Il est un arrogant demi-dieu, roi de la cité d’Uruk qui, par ses diverses pérégrinations, deviendra un sage souverain ; parmi ses faits les plus connus, on peut noter son attachement à son compagnon Enkidu, dont le deuil le poussera à partir en quête (vaine) d’immortalité. Ce récit, pionnier de tous les mythes, est probablement une des inspirations des grands héros grecs (les épreuves pour gagner en sagesse), arabes (la quête de l’immortalité) ou bibliques (la rencontre d’un survivant du déluge), dans l’idée que les récits anciens s’inspirent mutuellement d’une tradition orale s’étant adaptée géographiquement au fil des voyages.

Représentation la plus connue de Gilgamesh datant de -700 avant Jésus-Christ, bien qu’il puisse s’agir aussi du roi Nimrod, héros biblique.

Oublié (vraisemblablement) après la chute de Babylone en -500 avant J.C, Gilgamesh est redécouvert au 19e siècle par des archéologues, qui replacent son importance manifeste dans l’Histoire. Même si il est beaucoup moins connus que d’autres héros comme Arthur, Hercules ou Siegfried, il est fréquemment utilisé dans des œuvres de pop culture souhaitant employer un personnage mythologique un peu exotique : parmi les exemples les plus connus, on peut citer Fate/stay night, Les Éternels chez Marvel ou notre sujet du jour, Final Fantasy.


Sa première apparition, la plus sérieuse, est dans Final Fantasy V en 1992. Il est simplement un des boss du jeu, sans aucune ambiguïté, et obéis au méchant final. Celui ci, Exdeath, un être maléfique composé de pur chaos, est caractérisé par son obsession pour le « Néant » (Mu en japonais, ou Void en anglais), une force fondamentale anéantissant toute création sur son passage. Comment souvent dans les RPG, les noms des ennemis se basent sur diverses légendes et contes, Gilgamesh n’ayant ici quasiment rien à voir avec sa version d’origine. Il prendra des propriété du Gilgamesh « réel » au fur et à mesure des jeux (que je détaillerais plus bas).

Gilgamesh est est un combattant noble, inspiré des guerriers japonais traditionnels, plus proche d’un général mythologique : il aura d’ailleurs généralement un maquillage de kabuki lorsqu’on le rencontre. C’est officiellement (jusqu’à un éventuel retcon) son monde d’origine, et celui où démarre son aventure. Vaincu plusieurs fois et banni dans la « faille interdimensionnelle » (un monde manipulé par Exdeath pour extraire le Néant) suite à ses multiples défaites, Gilgamesh se sacrifie finalement pour sauver les héros de la lumière, se rendant compte de la menace que représente son ancien seigneur sur la création. C’est dans ce jeu que nait son obsession pour Excalibur, où il en possède une version « cheap » nommée Excalipur après avoir essayé de voler le modèle réel. Enkidu est également présent comme un ennemi que Gilgamesh peut invoquer.

Gilgamesh, bien plus que le héros mésopotamien dont il reprends le nom, est une référence directe à Saitō Musashibō Benkei, un moine guerrier légendaire connu pour avoir combattu 999 hommes et volé leurs épées lors d’un affrontement sur un pont : pour cette raison, le premier combat contre Gilgamesh dans FFV et le thème musical l’accompagnant se nomment « Clash at the Big Bridge » (affrontement sur le grand pont). En plus de copier ses exploits, Gilgamesh reprends grossièrement les traits de Benkei dans ses représentations d’époque, et tout comme lui se sacrifie dans son combat final (Benkei faisant barrage face a un mur de flèches pour sauver son seigneur). Cependant, Gilgamesh devient au cour du jeu plus inhumain, dévoilant ses huit bras permettant de porter autant d’armes, comme une version yokai corrompue de Benkei, connu pour porter sept armes différentes en permanence. L’équipement Genji, loot emblématique de Gilgamesh, est également une référence au guerrier japonais, Genji pouvant se lire comme le nom du clan Minamoto (源氏), seigneur de Benkei.

La « mort » de Gilgamesh dans FFV.

L’obsession de Gilgamesh/Benkei pour récupérer les armes de ses adversaires se mêle étrangement bien avec celle du Gilgamesh de Fate/stay night, connu pour collectionner les armes légendaires.


Gilgamesh fait son grand retour dans Final Fantasy VIII en 1999. Suite à la mort de l’invocation Odin, celui ci dans un dernier sursaut lance son épée Zantetsuken vers le ciel, ouvrant l’horizon sur Gilgamesh revenu d’entre les morts pour récupérer son arme et sauver involontairement l’équipe du joueur : il attaque l’ennemi qu’il confond avec Bartz, le personnage principal de Final Fantasy V (dialogue uniquement disponible en version japonaise), et se questionne sur la raison pour laquelle la faille dimensionnelle l’a envoyé ici. Par la suite, il devient une invocation utilisable durant les combats (remplaçant logiquement Odin). Cette interaction est optionnelle (il faut obtenir l’invocation Odin avant ce combat précis), certains joueurs n’ont donc jamais su que Gilgamesh est présent dans FF8.

A partir de cette apparition inattendue, le statut réel de Gilgamesh dans l’écosystème Final Fantasy est incertain, bien qu’il référence fréquemment son rôle dans FFV et sa rivalité avec son protagoniste. Vu qu’il n’y a aucune explication sur sa survie après son apparition initiale, il est possible de supposer que Gilgamesh ait été transporté dans un autre monde grâce à sa « mort » entre les dimensions, par un effort inconnu de sa part, ou que l’action du « Néant » lui a permis d’acquérir un nouveau pouvoir. La mort de Gilgamesh dans FFV étant un événement optionnel, il est possible aussi de penser que ça n’est jamais arrivé. En tout cas, sa capacité a voyager entre les mondes de l’univers Final Fantasy n’est jamais expliquée.

Contrairement à FF8, toutes ses apparitions suivantes sont accompagnées d’un remix inédit de « Clash at the Big Bridge » qui devient de facto son thème emblématique et indissociable du personnage. Enfin, il arbore des armes qu’il aurait volé dans les autres univers, généralement l’arme emblématique ou ultime de chaque jeu précédent celui où il apparait, même si elles sont probablement toujours des contrefaçons : cela permet assez efficacement de définir l’ordre chronologiques de ses apparences.

La faille interdimensionnelle représentée dans Final Fantasy VII Rebith.

Il est rajouté rétroactivement au cours des années 2000 dans les divers portages de Final Fantasy I, IV : The After Years, et VI comme affrontement bonus, toujours avec son thème musical et toujours avec la volonté de voler les armes emblématiques du héros attitré de chaque jeu. Dans FFVI, il porte les armes ultimes de FFI et IV ainsi que le zantetsuken de FFVIII, plaçant officiellement cette apparition après celle de Final Fantasy VIII.

C’est dans Final Fantasy XII en 2006 qu’il prends sa forme moderne, plus absurde, en arborant des contrefaçons des armes d’autres épisodes (les épée emblématiques de FFVII à FFX), en plus du Zantetsuken d’Odin. Encore plus incongru, son arme « ultime » est une copie de l’épée d’Erdrick de Dragon Quest, signifiant qu’il peut maintenant voyager dans les mondes d’autres licences Square Enix, et non pas seulement dans Final Fantasy. Il gagne dans cet épisode son attaque fétiche, la « Ultimate Illusion » (le nom japonais 究極幻想 étant un synonyme de « Final Fantasy » ), et est maintenant accompagné d’Enkidu sous la forme d’un loup.

De la même manière que dans les jeux précédents, il est totalement optionnel de le rencontrer, cette fois ci à l’issue d’une longue série de quêtes annexes. Il est aussi présent dans un combat bonus de Final Fantasy XII: Revenant Wings, la suite sur Nintendo DS de FFXII.

Dans FFXIII-2 en 2013, où il apparait en tant que DLC, il se plaint d’avoir dû attendre trop longtemps avant d’avoir été téléchargé. Il porte ici, en plus d’armes à feu et de ses épées habituelles d’autres épisodes, une épée en hommage à enkidu, le bashosen, et faisant référence à l’éventail magique de « La Pérégrination vers l’Ouest ». D’après le livre XIII Trilogy Ultimania Ω, le zantetsuken utilisé ici serait un ongle de Chaos de Dissidia Final Fantasy (un jeu de combat basé sur toute la saga), et non pas celui d’Odin de FFVIII.

Pour le MMO FFXIV où il est introduit pour la première fois dans la mise à jour 2.2, il cite les Power Rangers (« it’s transmogrifying time ! »), il a quelques cinématiques « gag » le mettant en scène, et certains NPC le surnomment Greg, ce qui devient son surnom officiel parmi les fans du MMO. Enkidu est emplacé sporadiquement par un poulet, avant de revenir dans son apparence de FFV. (PS : je n’ai pas trouvé de vidéo récapitulative de ses apparitions dans FFXIV mis à part celle qui est mise tout en bas de cet article, s’y référer si besoin). Il apparait sept fois dans FFXIV, entre 2014 et 2022.

Stranger of Paradise: Final Fantasy Origin lui donne un rôle plus important, étant le sujet de la DLC 2 « Gilgamesh, le vagabond des dimensions » en 2022 où notre héros Garland sera enfermé dans une tour le forçant à changer de dimension, dans laquelle il devra affronter Gilgamesh pour pouvoir s’enfuir. Il redevient bien plus sérieux (pour coller au ton du jeu, sans doute), et reprends son apparence de FFV. Notez qu’en étant inclus dans ce jeu, il apparait donc deux fois dans l’univers de Final Fantasy I, Stranger of Paradise en étant un préquel. Peut-être que c’est en réalité sa première incursion chronologique dans un autre monde, mais en l’absence d’indices évident, il est plus simple de penser que ses apparitions ne respectent pas obligatoirement la chronologie interne de chaque univers (même si ça fait un peu mal a la tête d’essayer de dénouer le problème).

Sa dernière apparition en date est en 2024 dans Final Fantasy VII Rebirth, là où il n’était pas présent dans le FF7 original. Encore une fois un affrontement très difficile suite à une longue série de quêtes annexes, celles ci le mettent ici en scène dans des situations burlesques où il essaie de récupérer son fameux équipement Genji des mains de l’équipe, notamment dans un mini jeu de tower defense où il joue la demoiselle en détresse. Il entrainera finalement nos héros dans une dimension parallèle pour l’affronter. Il porte ici les deux versions d’Excalibur de Final Fantasy IX (dont une absolument terrible à débloquer…)


Il existe également des apparitions « secrètes » de Gilgamesh, qui peuvent prêter à débat.

Dans Final Fantasy VI, un ennemi mineur nommé Siegfried parcours le jeu en volant des trésors et s’autoproclame « le meilleur bretteur du monde » : il est révélé finalement que quelqu’un aurait volé son identité, l’ennemi ayant été combattu au cours de l’histoire étant un imposteur. Une théorie veut qu’il pourrait être Gilgamesh, de nombreuses similitudes existantes entre les deux personnages (dont le nom de « héros ») mais je trouve personnellement que c’est sans doute, au mieux, un lointain hommage.

Son seul artwork viens de son apparition dans Magic : The Gathering.

J’ai plutôt comme petite théorie que le personnage jouable bonus Gogo du même jeu est/devait être Gilgamesh : ils ont un design très similaires dans les dessins de conception par Yoshitaka Amano (maquillage, couleurs) et Gogo n’a pas d’origine officielle ni de lignes de dialogues trahissant sa véritable origine (il ne parle jamais). On peut noter également le nom qui pourrait être un diminutif pour Gilgamesh. Il n’y a rien d’officiel a ce sujet mais on peut penser sans trop exagérer qu’il pourrait s’agir d’un Gilgamesh amnésique, ou au moins la première ébauche d’un retour du personnage. Gogo est également, plus directement cette fois, une référence à un ennemi de FFV « Mimic Gogo », rajoutant un lien tangible entre les deux épisodes.

Final Fantasy X en 2001 n’inclus pas de forme directe de Gilgamesh, mais met en scène l’invocation Yojimbo, un samourai mercenaire qui comporte d’énormes similitudes avec le guerrier dimentionnel, comme le design typé japonais aux teintes rouges et le maquillage de kabuki sur le visage. Autre « hasard », il est accompagné d’un chien, comme Gilgamesh dans FFXII. Bien plus tard, une quête de Final Fantasy XIV (pour le patch 4.56 en 2019) revèle que Yojimbo est une identité alternative utilisée par Gilgamesh, sans pour autant confirmer qu’il soit l’exact même Yojimbo que dans FFX.

Il est à noter, pour être exhaustif, que d’autres boss de Final Fantasy V apparaissent dans d’autres jeux : le dragon Shinryu et son ennemi juré le robot tueur Omega, tous deux également originaire de la faille dimensionnelle, sont devenus des boss récurrents de la série, ainsi que le sus-mentionné Mimic Gogo. Il est possible de voir un thème récurrent d’ennemis accédant a la faille dimensionnelles pour voyager dans d’autres univers de Final Fantasy (voire d’autre licences, Shinryu apparaissant aussi dans Bravely Default) mais cela reste a mon avis de l’ordre du clin d’œil plus que d’une trame narrative constante comme celle liant Gilgamesh et les autres jeux.


Gilgamesh devient finalement un running gag dans toute la série Final Fantasy, malgré l’aspect très sérieux de sa première apparition. Fréquemment tourné en ridicule et cassant de plus en plus le quatrième mur, il est conscient d’être dans un « univers » différent à chaque fois qu’il se présente a une nouvelle équipe de héros. Il est tout de même notoire comme un des affrontements les plus difficiles des jeux, clashant avec l’absurdité du personnage, et permet de récupérer l’équipement « Genji », généralement les meilleures armures possibles. Enfin, il est toujours optionnel de le rencontrer, dans sa forme « dimensionnelle » tout du moins.

Une des caractéristiques des Final Fantasy est d’être composés d’épisodes qui ne sont totalement indépendants scénaristiquement, étant plutôt liés par des thèmes et certains éléments clefs de scénario. Ainsi, la saga réutilise traditionnellement des noms comme petits clin d’œils : il y a toujours un personnage secondaire important nommé Cid, ou un duo de bras cassés appelés Biggs et Wedge en référence à Star Wars, les chocobos, et certains ennemis comme les pampas et les tomberry ; mais seul UN personnage revient canoniquement plusieurs fois, et c’est Gilgamesh. La question qui vous brûle sans doute les lèvres est : pourquoi lui? Pourquoi un ennemi oubliable d’un vieux Final Fantasy devient si récurrent ? Et bien, je n’ai pas trouvé d’infos à ce sujet, ce qui est au final encore mieux. Peut-être parce que son design était réussi, peut-être parce que son thème musical est excellent, peut-être parce que son contexte d’origine était propice, le dévolu est tombé sur Gilgamesh pour devenir l’ennemi interdimensionnel récurrent de la saga.

Apparitions de Gilgamesh dans l’ordre chronologique :
  • Final Fantasy V
  • Final Fantasy VIII
  • Final Fantasy I (Final Fantasy I & II: Dawn of Souls)
  • Final Fantasy IV : The After Years
  • Final Fantasy VI (portage GBA)
  • Final Fantasy XII
  • Final Fantasy XII : Revenant Wings
  • Dissidia 012: Final Fantasy
  • Final Fantasy XIIi-2
  • Final Fantasy XIV
  • Stranger of Paradise: Final Fantasy Origin
  • Final Fantasy VII Rebirth

Il est plutôt évident de conclure que Gilgamesh est effectivement le même personnage dans toutes ses apparitions sous cette forme, voyageant entre les dimensions à la recherche d’armes légendaires et d’un combat épique. Il apparait dans douze Final Fantasy « canoniques », pour l’instant. Il est à noter que Final Fantasy IX, XI, X et XV ne mettent pas en scène cette version de Gilgamesh, préférant le réadapter, quand il est simplement omis dans les épisodes II, III et XVI. Dans Final Fantasy Type-0, il est présent et est très similaire, mais possède une origine nouvelle et ne peut pas voyager entre les dimensions (ce qui a fait naitre la théorie qu’il s’agit de son incarnation d’origine) : dans ce jeu, il peut voler les armes du personnage si celui ci subit une défaite. Pour les spin off et jeux mobiles, il est grandement possible qu’il soit aussi le même personnage (notablement dans Dissidia 012: Final Fantasy que j’inclus car Gilgamesh utilise des épées de ce jeu dans ses apparitions canon) mais leur statut « non canon » les éliminent du débat, a mon avis.

Il a un mot bien senti pour chacun de ses adversaire dans Dissidia 012: Final Fantasy.

En cherchant à voler des armes légendaires, et en poursuivant particulièrement Excalibur qui ne fait que lui échapper, Gilgamesh de Final Fantasy rejoint sa version mythologique en quête impossible de l’immortalité ; bien qu’extrêmement puissant et difficile à vaincre, il est paradoxalement l’ennemi ayant essuyé le plus de défaites de la série, étant vaincu à chaque fois par l’équipe titre du jeu où il apparait. Comme le roi sumérien, il doit se contenter de l’expérience que lui a offerte tout ces combats, sans jamais en gouter la récompense.

Cette quête vaine s’étend avec son obsession à retrouver Bartz, héros de Final Fantasy, rajoutent une couche d’ironie tant FFV est, toute proportions gardées, un des épisode le moins populaire de la série, accusant le fait d’avoir peut-être son protagoniste le plus oubliable. Ainsi, il n’y aura surement jamais un remake ou du contenu ajouté a l’univers de cet opus. Gilgamesh étant dépendant du bon vouloir de l’éditeur pour sa prochaine incursion dimensionnelle, il est donc condamné à errer encore un bon moment avant d’enfin retrouver son rival. Courage à lui !

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